Dans la pénombre, Alex tourne la molette du
coffre-fort, un stéthoscope collé contre la paroi de métal. Il
entend un léger déclic et serre le poing, dans un geste de triomphe
silencieux. La lumière inonde soudain la pièce ! Près de la
porte d'entrée, immense, se tient Yuvuy, flanqué par deux gardes du
corps.
–
On essaye de tricher, Alex ?
Alex
soulève son corps de femme obèse et vacille en se remettant debout,
ses bourrelets et ses seins énormes menaçant toujours son
équilibre.
–
Salaud, rends-moi mon corps ! Je ne suis pas cette boursouflure
humaine, je ne veux pas être une pétasse, je suis un homme, moi !
–
Ah oui ? Moi, ce que je vois, c'est une pauvre femme, moche et
pitoyable, qui essaye comme une vilaine de me cambrioler ! Une
femme que je vais devoir punir… Cédric, Guillaume, allez-y !
Les
deux gardes du corps s'avancent vers Alex…
O
Pour
Pierre, cela commence comme une journée semblable à toutes les
autres. Par la fenêtre de son bureau, il contemple la ville étalée
à perte de vue. C'est la seule chose de réellement excitante, dans
son travail : le panorama. Après quelques années, c'est un peu
maigre pour entretenir la flamme… Avec un bâillement, Pierre
s’attelle au courrier du jour.
Sur
le tas de lettres et de notes internes, un petit carton retient son
attention : il n'y a qu'une adresse marquée dessus. L'encre est
d'une couleur criarde du plus mauvais gout, mais elle semble avoir
l'étrange propriété de changer de teinte selon l’angle avec
lequel on la regarde. Posée à plat, l'écriture est plutôt vert
tendre, mais si Pierre monte la feuille à ses yeux, elle vire au
mauve. Et, sous la lumière, elle brille de petites paillettes et
devient jaune !
«
Étonnant ! » se dit Pierre. Un nuage de poussière s'échappe
alors du papier et vient s'enrouler autour de ses narines, le faisant
violemment éternuer. Pierre pense tout d'abord à une farce idiote,
mais il se rend tout de suite compte de son erreur. La poussière
entrée dans ses poumons semble se glisser dans sa chair et Pierre se
met brusquement à se sentir très mal. Sa vision change, la pièce
autour de lui prend de l'ampleur et Pierre réalise soudain que c'est
lui qui devient plus petit ! Pendant un instant horrible, son
corps est agité de grosses vagues, comme une feuille de papier qu'on
secoue, puis il se raffermit en se couvrant de courbes étranges. Ses
membres s'amaigrissent, sa peau se tend et s'adoucit, son bassin
s'évase tandis que ses cheveux gonflent à une vitesse incroyable !
Sur son torse, deux boules viennent s'installer ! Entre ses
cuisses, il y a comme une tension qui le quitte soudain et, en même
temps, un vide qui entre en lui, dégageant un passage à l'intérieur
de son ventre. Pierre regarde son reflet dans la vitre de la fenêtre.
Sa bouche s'ouvre, sans un cri. L'image, absurde, reste toujours la
même… Il est devenu une femme !
O
Dans
le taxi, Pierre regarde cette maison ressemblant à toutes les
autres, perdue dans cet océan pavillonnaire de banlieue.
Il
est à l'adresse indiquée sur le funeste carton.
Parvenir
jusqu’ici avait été une expérience affreuse. En perdant son
apparence, Pierre avait perdu d'un coup toute sa vie. Ses collègues,
ses amis, sa famille même !, comment pourraient-ils croire à
cette métamorphose ? Comment pourraient-ils seulement le
reconnaitre ? Même ses vêtements s'étaient retournés contre
lui : la femme qu'il était devenue flottait dans ces bouts de
tissus taillés pour un homme et ses chaussures ne tenaient plus à
ses pieds. Autour de lui, son bureau avait soudainement pris des
allures de souricière. Si l'un de ses collègues entrait et
demandait à cette fille ce qu'elle faisait là, qu'est-ce que Pierre
pourrait bien répondre ?
Il
avait remonté son pantalon, l'avait noué autour de ses hanches et
il était parti de là, en chaussettes, tout en priant pour ne
croiser personne. Les couloirs de son entreprise ne lui avaient
jamais paru si longs ! La chance aidant, il était parvenu sans
encombre jusqu'à la rue et il avait appelé un taxi par téléphone.
Pendant dix minutes, il avait dû attendre sur le trottoir. Il se
sentait comme dans un de ces cauchemars où l'on se retrouve nu au
milieu des gens. Tous les regards lui semblaient braqués sur son
corps de femme, ses vêtements immenses et ses chaussettes… Pierre
avait espéré un peu de répit, une fois pelotonné à l'arrière de
la voiture, mais chaque mouvement du véhicule créait des gênes et
des surprises déroutantes ; le contact du siège vers contre
entrecuisse vide, ses seins qui s'entrechoquaient, son épaule trop
petite et trop ronde appuyée sur la vitre, ses cheveux qui
ondulaient légèrement sur sa joue.
Le
taxi s'était finalement immobilisé devant la maison.
O
Pierre
n’a pas envie de bouger, redoutant de se confronter à une nouvelle
bordée de sensations venues de ce corps étrange, mais il finit par
se décider malgré tout. Il demande au chauffeur d'attendre,
s'extrait de la voiture et s'avance dans l'allée. Chaque pas le
déconcerte. Les roulements naturels de son bassin sont trop
inhabituels, il se sent encombré par ses chairs féminines et ses
seins lui paraissent vraiment très bizarres, à s’agiter comme
s’il portait accrochés devant lui deux sacs capricieux de
gélatine. Pierre devine les regards du chauffeur sur son dos et ça
le met encore davantage mal à l'aise.
Avant
même qu'il frappe, la porte s'ouvre et une femme sort de la maison,
son ventre rond tendu devant elle.
–
Oh, bonjour… Vous avez vu, ce… c'est merveilleux ! Je suis
enceinte !
Dans
le souffle de son euphorie, elle enlace Pierre qui ne sait pas quoi
faire.
–
Je m'excuse, je… je ne me suis même pas présentée, je m'appelle
Julien.
Cette
fille agit comme si elle venait juste d'apprendre la grande nouvelle,
alors que son ventre est enflé par plusieurs mois de grossesse !
Le sens des choses échappe de plus en plus à Pierre. Et puis…
–
Comment avez-vous dit que vous vous appelez ?
–
Julien… Oh, vous êtes venu en taxi ! Je peux le prendre pour
rentrer chez moi, dites ?
Pierre
reste silencieux, immobile, dépassé.
O
–
Merci, vous êtes chouette, à la prochaine peut-être…
La
jeune femme s'éloigne et monte dans le taxi. Pierre se dit qu'il
aurait dû la suivre. Cette maison lui parait désormais terriblement
menaçante.
–
Entre, Pierre…
La
large voix masculine a jailli soudainement, semblant provenir des
profondeurs du bâtiment.
Pierre
rassemble ce qui lui reste de volonté, passe la porte entrouverte et
pénètre dans le couloir sombre. Il arrive dans un grand salon à la
décoration surchargée. Les murs sont parsemés de masques en bois
sculptés, d'armes primitives, de boucliers de peaux et de têtes de
fauves empaillées. Les meubles sont anciens. On a disposé sur eux
des pièces de tissus chamarrés et chaque espace libre est encombré
de bibelots exotiques. Le sol, tapissé d'épaisses fourrures
blanches, oppose sa clarté à la peinture du plafond, chargée comme
un ciel oppressant de dégradés de jaunes, de rouges vifs et de
lourds sangs de bœuf. Au fond, sur une estrade noire en bois ciré,
un homme très grand occupe tranquillement un trône garni de
dorures, encadré par deux gaillards aux mains croisées devant eux.
Entre Pierre et lui se tiennent les courtisans de ce souverain
d'opérette, quelques personnes de tous âges, en habits de
cocktails, des verres à la main. Totalement silencieux, ils vrillent
Pierre de leurs regards immobiles ! Au pied du trône,
incongrue, ignorée de tous, une femme bouffie lessive à quatre
pattes le sol de l'estrade, chacun de ses gestes soulevant sa courte
robe grise au tissu usé, dévoilant par intermittence son intimité
sans qu'elle ait l'air d'y prendre garde. Elle jette des coups d’œil
furtifs vers la nouvelle arrivante, mais, de toute évidence, n'ose
pas lever la tête.
L'homme
sur le trône lâche enfin, de sa grande voix :
–
Je suis Yuvuy, le souverain des parts sombres ! C'est moi qui
t'ai envoyé la lettre.
Une
foule de questions se bouscule immédiatement dans la tête de Pierre
mais, de toutes ses forces, il se retient d'ouvrir la bouche. Il sent
que se joue là un jeu serré où toute marque de faiblesse est une
imprudence… Trente interminables secondes de silence s'écoulent,
ponctuées seulement par le bruit de la serpillière frottée par la
grosse femme au sol. Puis un sourire se dessine sur le visage
d'Yuvuy.
–
Oublie à jamais le « pourquoi », petite femme. Pour le
profit, pour satisfaire la vengeance de quelqu'un ou par jeu, tout
simplement… Quelle importance ? J'ai fait ce que j'ai fait !
Oublie aussi le « comment ». Tu étais bien
tranquillement assoupi dans ta petite existence ennuyeuse et tu te
retrouves confronté à un monde de puissances que tu n'avais jamais
soupçonné… Mais tu avais beau l'ignorer, ce monde existe et, que
tu le veuilles ou non, il vient de t'engloutir ! Pour toi, seul
compte ce qui va se passer ensuite… Approche !
Pierre
décide d'obéir, pour l'instant. Ses pas lui semblent incroyablement
lents. Personne ne bouge autour de lui ; seules les têtes
pivotent lentement pour suivre ses mouvements. Pierre s'arrête à la
limite de l'estrade. Yuvuy frappe alors dans ses mains.
–
Arnaud ! Voyons, tu laisses notre invitée mourir de soif !
D'une
porte entrouverte surgit une délicieuse Asiatique, portant un
plateau avec un seul verre posé au milieu. Juchée sur une paire
d'immenses talons aiguilles, sa démarche est mal assurée. On sent
qu'elle n'a pas l'habitude. Elle est vêtue d'une robe écarlate,
impudique, très courte et très moulante, percée d'une multitude de
crevures qui dévoilent ou suggèrent presque toute son anatomie. La
petite personne garde les épaules rentrées et le visage baissé,
crispé, comme enfoncé dans la honte, alors que ses appâts mal
enfermés se secouent à chaque pas. Arrivée devant Pierre, elle
lève son plateau vers lui.
Devant
l'humiliation évidente de cette fille, Pierre répugne à prendre le
verre, comme si c'était profiter de sa détresse. Le temps s'englue
à nouveau, seconde après seconde. Mal à l'aise, la fille passe
d'un pied sur l'autre. Finalement, elle lève un bref regard sur
Pierre, qui voit luire dans ses yeux le reflet d’une peur animale !
Comprenant soudain que l'Asiatique sera punie s'il dédaigne
l'offrande, il s'empare du verre.
–
Il faut excuser Arnaud, elle n'a pas l'habitude. Il n'y a pas si
longtemps, c'était encore un homme puissant et craint et Arnaud a
parfois du mal à admettre que ce temps est définitivement révolu…
Cette petite impertinente a encore besoin qu'on lui explique.
À
ces mots d'Yuvuy, celle qu'on appelle Arnaud est agitée d'un
frisson, ses épaules se ramassent encore plus et elle repart, le
plateau toujours devant elle, les yeux vissés au sol. Passant trop
près d'un des courtisans, elle sursaute en lâchant un cri lorsque
celui-ci pince fortement ses fesses. Le plateau tombe à terre et
Arnaud perd alors toute contenance, se précipitant pour le ramasser,
avant s'enfuir en courant, en ayant l'air de rebondir sur ses talons
trop hauts, tout en laissant échapper de petits sanglots terrorisés.
–
Tu vois Pierre, peut-être que tu finiras comme Arnaud, ou comme
Julien, ou peut-être pas… Ton destin n'est pas encore scellé.
Dans ce coffre-fort, derrière moi, il y a de quoi te rendre ton
apparence d'homme, ou te condamner à jamais à une vie de femme. Il
y a de quoi déterminer pour toujours ton corps, mais aussi ton
destin. Tu auras une vie de gloire, d'humiliation ou peut-être de
plaisir, une vie triste ou flamboyante, tout va dépendre de la
substance qui te sera administrée ! Une chose est certaine, à
partir de maintenant, il vaut mieux pour toi éviter de me
contrarier. Je n'apprécie vraiment pas les petits futés qui tentent
de resquiller…
Yuvuy
coule un regard malicieux en direction de la femme obèse, par terre,
qui continue imperturbablement à frotter. Le corps bourrelé de
graisse se raidit un peu, ses mouvements ralentissent pendant une
fraction de seconde, puis le rythme régulier de la serpillière
reprend. Yuvuy hausse les épaules, en lâchant un soupir méprisant
et il ramène ses yeux sur Pierre.
–
Tu peux partir. Je te recontacterai peut-être, si le moment se
présente…
Cette
fois, Pierre ne peut s'empêcher de s'exclamer :
–
Quoi ? C'est tout ?
–
Que veux-tu de plus ? Une mission ? Une quête dont la
récompense serait de retrouver ton existence minable ? Tu
aimerais que je te dise quoi faire ? Et pourquoi ça ? Qui
sait, peut-être que mon but est déjà atteint ! Ou peut-être
qu'il n'y a aucun but…
Pierre
a l'impression d’étouffer, il se sent soudain minuscule, comme un
insecte broyé entre les doigts d'un garnement sadique.
–
Tu cherches un sens à ce qui t’arrive, petite femme, mais ces
choses-là te dépassent de toute façon ! Tu as ce corps, à
toi de te débrouiller avec… Vis ta vie comme tu l'entends. Quand
je l'aurai décidé – et si je le décide – je saurai te
retrouver !
O
Pierre
sort et marche dans la rue. Il marche longtemps. Si longtemps qu'il
finit, épuisé, par arriver devant chez lui. Il s'enferme et reste
là plusieurs jours, n’ouvrant plus la porte et ne répondant pas
au téléphone, tournant en rond. Dans son esprit, c'est
l'alternance, des moments de vide succédant à des bourdonnements de
peurs. Par tous les moyens, il essaye d'oublier ce corps qui est
maintenant le sien. Il évite le miroir et, comme un écorché,
répugne au moindre contact sur sa peau. Il ne change même pas de
vêtements et dors tout habillé, quand il arrive à dormir…
L'inconfort
et la puanteur finissent par l'amener sous la douche. Pierre se met
nu à contre-cœur et, malgré lui, il accueille avec soulagement le
déversement violent des cataractes chaudes. Il passe ses doigts le
long de sa peau. Elle est devenue si douce au toucher ! Ses
chairs attendries par le ruissellement se remplissent de langueurs
duveteuses. C'est une sensation agréable, mais c'est une sensation
tellement déplacée, pour Pierre ! Il la trouve bien trop
féminine !
Cependant,
il sait qu'il ne peut pas continuer à se cacher de lui-même.
Il
approche ses mains de sa poitrine. C'est surtout la forme qui le
surprend. C'est étrange, de trouver à cet endroit deux renflements
bombés qui tremblent sous la poussée. Il entre ses doigts dedans et
soulève la chair mobile. Le contact est tendre, mais beaucoup moins
érotique que ce que Pierre supposait. Ce ne sont pas, et de loin,
les deux brasiers de plaisir que ses fantasmes d'homme imaginaient.
Ils sont sensibles, néanmoins, et de la chaleur se répand dans le
buste de Pierre quand il les malaxe. Ses larges tétons sont des
concentrations serrées de nerfs et les côtés de sa poitrine
réagissent sous la caresse. Pierre se risque à descendre ses
doigts. Le pubis plat qui termine son torse est déconcertant. Sa
main glisse en dessous et découvre une sorte de feuilleté de peaux
aux lignes changeantes, comme en désordre. Là aussi, ses sens de
femme le surprennent. Sous le capuchon de son clitoris, il tombe sur
une petite excroissance de chair à vif, plus vibrante encore que la
bordure du gland d'un homme. Au-delà, les lèvres qui longent son
orifice contiennent certains replis fourmillant de sensations.
Celles-ci sont moins aigües, certes, mais elles sont plus
envahissantes, coulant à travers son ventre et dans ses cuisses. Par
contre, lorsqu'il introduit prudemment un doigt dans sa cavité, il
tombe sur des parois pratiquement inertes. Lui qui avait toujours
naïvement cru que la profondeur d'une femme était tapissée de
sensualité…
Déconcerté,
Pierre sort de la douche. Il laisse l'eau dégouliner lentement puis,
encore humide, il va devant la grande glace. C'est évident, il a un
beau corps, avec ce qu'il faut pour satisfaire les exigences d'un œil
masculin. Cette idée le soulève toujours de répugnance, comme une
démangeaison qui le rendrait poisseux : qu'on le regarde et
qu'on songe à… à ce que les hommes ont en tête à propos des
femmes !
O
Pierre
a bourré ses chaussures de papier, pour les adapter à sa nouvelle
pointure. Il a pris une de ses ceintures et creusé des trous
supplémentaires dedans, passé une chemise par-dessus son pantalon
pour cacher les plis du tissu, et puis il a retroussé ses manches.
Il se regarde. Son image est toujours si bizarre ! Ses vêtements
d'hommes accentuent cette impression de biscornu, mais la mode
féminine a au moins cet avantage qu'elle permet une certaine
excentricité. Pierre peut sortir dans la rue en espérant ne pas
trop attirer l'attention. Il retourne jusqu’à la maison d'Yuvuy.
Il ne sait pas encore comment il va s'y prendre, mais il doit au
moins tenter quelque chose pour retrouver sa vie, et de toute façon
il ne supporte plus les questions qui roulent dans sa tête.
C'est
une femme d'une quarantaine d'année qui lui ouvre la porte. Sur la
pelouse, il y a des jouets d'enfants qui trainent. Derrière
l'inconnue, Pierre reconnait le couloir de la maison, mais la
décoration a complètement changé. La dame a l'air intriguée par
ses questions, elle dit qu'elle a toujours habité là. Étrangement,
Pierre n'est pas plus surpris que ça. Il renonce définitivement à
lutter.
O
Pierre
porte un sac de voyage, rempli de tout ce qu'il a jugé utile
d'emporter. Il prend le premier train et n'en descend qu'à l'autre
bout du pays. Il a quelques économies, c'est à peu près tout ce
qu'il a pu sauver de sa vie d'homme. C'est avec ça qu'il va devoir
tout recommencer. Dire qu'il n'y a même pas dix jours, il était
encore lui-même…
O
Pierre
se fait désormais appeler Léa et il s’accommode lentement de sa
nouvelle vie. Fatigué de se cacher sous des sweats et des
survêtements achetés presque à la sauvette dans les supermarchés,
il se décide enfin à franchir les portes d'un magasin de vêtements
pour femme. Il faut bien qu'il essaie de porter une robe, au moins
une fois dans sa vie ! Pierre se sent immédiatement intimidé
par la vendeuse. Jusqu'à sa transformation, il considérait les
hommes qui s'habillent en femmes plus ou moins comme des pervers.
Pourtant, maintenant, il se retrouve là, devant cette jeune femme
qui lui sourit. Est-ce qu'elle se rend compte de quelque chose ?
On dirait que non.
Pour
rendre les choses plus faciles, Pierre se force à penser à lui en
tant que Léa.
Léa
dit qu'elle a vu quelque chose qui lui plaisait, en vitrine. La
vendeuse lui demande sa taille et Léa se mord les lèvres.
–
Vous savez, je viens de faire un régime, et je ne sais plus trop où
j'en suis, de ce côté-là…
La
vendeuse semble gober son excuse et la félicite même pour sa ligne.
Léa se retrouve dans la cabine d'essayage, elle enfile une jupe
découvrant à moitié ses cuisses. Elle fait quelques pas. Ça lui
fait bizarre, de marcher jambes nues, tout en étant quand même
habillée. Elle passe d'autres vêtements : une robe fendue, un
pull échancré, un débardeur moulant. Elle se rend compte avec
étonnement qu'elle trouve ces essayages assez amusants. Elle se
regarde dans la glace et son reflet lui procure un plaisir étrange,
jusqu'à ce qu'elle imagine sortir vêtue comme ça… Pierre réalise
alors qu'il est en train de choisir les vêtements de Léa avec ses
préférences d'homme ! « Tout le monde va me prendre pour
une pute ! ». Honteux, glacé, verrouillé par la
timidité, Pierre redonne tout à la vendeuse. Il se contente d'un
jean pas trop moulant et d'un chemisier léger.
O
Le
soir, Pierre allait souvent au bar, prendre une bière. Il a bien
essayé de garder cette habitude mais désormais, avec son corps de
femme, il se fait parfois entreprendre par les hommes. Alors, à la
place, il regarde la télé. Il passe sur le sport, parce que ça ne
l'intéresse plus vraiment. Ce qu'il aimait, en fait, c'était
pouvoir en parler avec ses amis, mais ce n'est plus le genre de sujet
qu'on aborde avec Léa. Pierre s'oblige à regarder les séries
sentimentales. Il trouve ça aussi ennuyeux qu'auparavant, mais il se
dit que c'est une manière comme une autre d'en apprendre plus sur le
comportement des femmes. Ou plutôt, d’en apprendre plus sur le
comportement que les gens attendent des femmes.
Il
lit aussi les magazines féminins, qui sont moins superficiels que ce
qu’il avait craint. Ils lui permettent de s'habituer à la mode et
d'explorer toutes ces choses concernant l'apparence, cette foule
d'obligations grandes et petites auxquelles il ne faisait pas
attention lorsqu'il était un homme : s'occuper de ses mains, de
ses ongles, de ses cheveux, de sa peau et des différentes épilations
à renouveler régulièrement, et puis des soins intimes, et
surveiller sa ligne, donc son assiette, et sélectionner ses
vêtements et ses chaussures, avec discernement, tant ils en disent
sur vous, et il y a encore le maquillage et la coiffure… Pierre se
dit que c'est insensé, vraiment, toute cette énergie que les femmes
doivent consacrer à leur aspect !
O
Le
dilemme des vêtements, le jour de l'entretien d'embauche. Pas trop
gris, il faut qu'on vous remarque – surtout si c'est un homme
derrière le bureau. Pas trop sexy, ça donne l'impression qu'on n'a
que ses charmes à offrir – surtout si c'est une femme qui recrute.
Pas trop voyant, ça ne fait pas sérieux. Pas trop sévère, on a
l'air ennuyeuse… Léa essaye un tailleur, puis passe un pantalon,
elle réarrange sa coiffure, change ses bijoux et, excédée, elle
donne un coup de pied rageur dans la commode. Tout était tellement
plus simple, quand elle était un homme !
–
Et flûte ! dit-elle en retirant sa chaussure pour se masser le
pied.
Elle
vient de ruiner sa plus jolie paire d'escarpins.
O
L'effet
qu'elle fait aux hommes est un des plaisirs les plus troubles de Léa.
Elle est jeune, belle et elle s'occupe de son apparence. On la
remarque et Léa a appris à apprécier ça. Quand les regards
s'accrochent à elle, elle se sent forte, grisée par un sentiment de
liberté. Après tout, elle est bien placée pour savoir le pouvoir
d'une jolie fille sur le sexe opposé…
O
Léa
ne l'avait jamais remarqué avant d'être une femme, mais la plupart
des chefs, dans la plupart des entreprises, ce sont des hommes. Là
où elle travaille, ce sont tous des hommes, sans exception. Quand
Léa était Pierre, le harcèlement sexuel et les brimades, selon que
vous devez vous asseoir pour uriner ou non, il ne comprenait pas
pourquoi on en faisait toute une histoire. Ça existait, bien sûr,
sans doute… Mais Pierre se disait parfois que les femmes prennent
un peu trop de plaisir à se plaindre pour que tout ça soit vraiment
sérieux.
Maintenant,
quand son chef qui a l'âge de son père pose ses grosses fesses sur
son bureau et lui impose ses plaisanteries, tout en la chatouillant
sous le menton, Léa a envie de hurler.
Mais
elle se tait, comme les autres, comme celles qui gardent leur emploi.
Elle se concentre sur son travail en espérant juste ne jamais se
retrouver seule avec lui.
O
Léa
a bu. La fête bat son plein. Elle trouve que l'univers est
merveilleux et elle est la plus belle femme du monde. La musique
l'emporte. Elle monte sur la table et déboutonne son chemisier.
Quand elle dévoile les dentelles de son soutien-gorge, les hommes
hurlent. Elle les repousse du pied en riant. Ils sont tous tellement
à sa merci…
Elle
rouvre les yeux le lendemain, sans savoir où elle est. Dans le lit,
un homme bouge lentement, au bord du réveil, sa verge levée dans
une érection matinale. Son bras encore ensommeillé vient s'enrouler
autour d'elle, mais Léa le repousse brutalement et soulève les
draps. Il y a une petite tache de sang sous ses cuisses. C'était sa
première fois ! Et elle n'arrive même pas à s'en souvenir !
Léa se lève, elle regarde fébrilement autour du lit et va jusqu'à
fouiller la poubelle. Elle ne voit pas de capote. Il n'a pas mis de
capote ! Et s’il avait une maladie ? Et si… « Oh mon
Dieu ! Si je suis enceinte ? »
O
Certaines
femmes ont des règles douloureuses. Pour Léa, c'est seulement un
immense sentiment d'étrangeté. Il y a des choses auxquelles elle ne
s'habitue pas. Des choses qui, chaque fois, lui rappellent qu'elle
n'est pas née dans ce corps, qu'elle n'est qu'un visiteur masculin
dans cette enveloppe de femme… Mais cette fois-là, vraiment, elle
est soulagée de voir arriver les menstruations !
O
Il
s'est approché de Léa pour l'inviter à danser. Il n'est pas très
beau, pas très adroit et il a surtout cet air un peu trop suffisant,
comme s'il s'imaginait qu'avec elle, c'est du tout cuit. Léa exagère
une moue de dégout.
–
Désolée, hein, je ne danse qu'avec des hommes !
À
côté d'elle, la copine de Léa éclate de rire. Le pauvre type ne
sait plus où se mettre.
O
C'est
le troisième rendez-vous et ce gars embrasse bien. Il la caresse,
Léa ronronne et s'abandonne. Depuis longtemps, les mains d'un homme
sur elle ne provoquent plus de dégout. Léa se laisse mettre nue et
le corps de l'homme la pénètre et puis l'embrase. Les yeux de Léa
s'envolent, traversés par un orgasme magnifique.
Les
jours suivants, il ne donne plus aucun signe de vie. Il a eu ce qu'il
voulait.
O
Léa
regarde les copines avec qui elle vient de dépenser, ce samedi
après-midi, une bonne part de son salaire de secrétaire. C’est
vrai, Léa a moins d’argent qu’avant. Pierre avait des diplômes
et Léa a dû repartir de zéro, se refaire une vie à partir de
rien. Et puis, être une jolie jeune femme, ça coute tout de même
des sous, rien qu’en vêtements et en produits de beauté. Mais Léa
a décidé d’être insouciante et elle aime être à la mode. Pour
elle, c’est quelque chose qui est venu avec sa féminité.
Pourtant, durant un court instant, dans ce petit café où les amies
se sont installées après leur virée shopping, Léa a retrouvé le
regard de Pierre pour les femmes : le regard d’un homme, vif
et global, qui évalue la proie intéressante, puis passe à autre
chose. L’instant suivant, Léa a repris cette manière plus
féminine de poser ses yeux, cette façon plus discrète, plus
patiente, et attachée aux détails. Léa se trouble. Elle mesure à
ce moment tout ce que ce corps a changé dans sa vie.
O
La
femme au ventre rond passe devant Léa, qui sent soudain un vide en
elle. Elle se demande pour la première fois si elle veut des
enfants.
O
La
nuit est tombée depuis des heures. À pied, Léa rentre chez elle.
Alors qu'elle a parcouru la moitié de la rue, elle voit devant elle
trois silhouettes masculines qui avancent dans sa direction. Ils
parlent entre eux bruyamment. Léa hésite. Faire demi-tour ? À
quoi bon ? Ils sont sans doute inoffensifs et, de toute façon,
en jupe serrée et avec ses petits escarpins, elle ne va pas les
battre à la course… Elle continue, essayant de ne rien changer à
sa démarche. Ne jamais montrer qu'on a peur, jamais. Quelques
mouvements de leurs corps font comprendre à Léa qu'ils viennent de
la remarquer. Leurs voix baissent pendant une ou deux secondes et ils
continuent d'approcher. Elle est à moins de deux mètres d’eux
quand ils la sifflent. Ne pas répondre, ne pas courir. Ils se
déploient et commencent à l'entreprendre, leurs voix collées à
elle, avec un ton exigeant. Elle subit leurs compliments vulgaires en
conservant le regard droit. Une main s'empare soudain de sa taille et
la tire en arrière ! Terrorisée, Léa n'en peut plus. Elle
pousse un cri sauvage et s'enfuit, les bras serrés contre elle. Les
hommes sont contents d'avoir fait craquer les nerfs d'une fille et
ils reprennent leur route et leur conversation semée de rires.
Léa
passera des nuits à ruminer sa peur, eux n'y pensent déjà plus.
O
C'est
un cadre de l'entreprise où elle travaille. Elle n'est pas la
première secrétaire qu'il emmène dans ce restaurant, mais Léa est
bien décidée à être autre chose qu'une amourette de plus dans sa
collection. Il est jeune, dévoré d'ambition, plutôt joli garçon.
Il est moins intelligent qu'elle, mais elle s'est bien gardée de le
montrer. Généralement, ce n'est pas le genre de choses qui plait
aux hommes. Quand elle le regarde, le sang cogne à ses tempes et les
battements de son cœur s’accélèrent. Parfois, lorsqu’il pose
ses yeux sur elle, elle a vraiment l'impression de flotter. Elle
finit par comprendre qu'elle est amoureuse. Cette une idée un peu
étrange, qui la rend craintive mais qui lui plait en même temps…
O
L'écriture
miroite sous ses yeux, changeant de couleur selon la lumière. Après
plus de quatre ans, Yuvuy est de retour dans sa vie ! Ce
matin-là, en sortant le courrier de la boîte aux lettres, Léa a
tout de suite repéré le grand carton d'invitation. Pas de poussière
piégée, cette fois, mais toujours aussi peu d'informations. Juste
une date, une heure et l'adresse d’un hôtel chic, accompagné
d’une petite phrase incongrue, marquée en dessous : tenue de
soirée exigée.
O
Elle
n'a rien dit à son fiancé, mais il a bien vu que quelque chose
n'allait pas. Léa s'irritait pour un rien. Il a cherché à
comprendre, mais elle est restée silencieuse. Comment lui
expliquer ? Elle est allée chez le coiffeur, elle a acheté une
nouvelle robe et s'est préparée pendant plus de trois heures. Léa
veut être sublime pour cette soirée. Elle va jouer la partie avec
ses armes de femme.
Quand
elle entre dans le grand salon rutilant de lumières, Léa aimante
les regards. Sa robe est somptueuse, provocante juste ce qu'il faut.
Elle la porte avec cette sorte d'élégance sensuelle, dépourvue de
vulgarité, qui subjugue les hommes et suscite l'admiration des
femmes. Personne ne pourrait soupçonner que cette créature qui
s'avance n'est pas née dans ce corps. Impériale, Léa donne
l'impression de ne voir personne autour d'elle.
La
réception est bondée, mais la haute stature d'Yuvuy se détache au
fond de la vaste salle. Léa s'avance jusqu'à lui et, lentement, il
la détaille d'un regard connaisseur.
–
Bravo, Pierre, tu as bien appris.
–
Toujours cette manie de nous appeler par nos prénoms d'homme,
n'est-ce pas ?
Aux
bras d'Yuvuy, deux grandes choses pulpeuses sont collées à lui et
le couvent de regards énamourés.
–
Tu te souviens de mes gardes du corps ? Moi, je les préfère
ainsi…
Il
claque leurs fesses et les deux femmes gloussent, ravies.
–
Romain, un cosmopolitan pour notre amie.
Derrière
le bar, une Asiatique s'affaire immédiatement à préparer le
cocktail. Elle est mignonne, dans son petit uniforme de serveuse,
court et froufroutant, dévoilant ses jolies jambes gainées de
collants. Elle a l'air tout gêné et cache son regard modeste
derrière une paire de lunettes. Elle pose le verre devant Léa puis
s'éclipse, rougissante.
–
Ce n'est plus Arnaud ?
Yuvuy
hausse les épaules, sans répondre.
–
Est-ce qu'enfin vous allez me dire...
–
Pas encore, mais nous pourrons parler tranquillement très bientôt.
Dans
le brouhaha de la réception, Yuvuy et Léa se taisent et attendent.
À quelques mètres d'eux, un groupe de six personnes se scinde
alors. Trois femmes se séparent de leurs cavaliers et viennent vers
Yuvuy : une blonde toute en courbe avec un grand regard vide,
une brune splendide et une adolescente au corps bronzé.
–
Vous aviez deviné qu'elles allaient arriver, ou c'est juste une mise
en scène ?
La
blonde se jette ou cou d'Yuvuy, ignorant superbement les deux beautés
toujours serrées contre lui. Elle mordille son oreille en
murmurant :
–
Ce soir, mon amour ?
–
Sois raisonnable, Xavier, j'ai à faire. Des choses bien trop
sérieuses pour toi. Trouve-toi un homme… ou même plusieurs, ce
n'est pas ça qui manque ici !
La
blonde fait la moue et se décroche d'Yuvuy. Elle s'éloigne en
soufflant vers lui un baiser sur sa main. Pendant ce temps, la brune
au port de reine fixe Léa d'un regard crépitant de jalousie, comme
si sa simple existence était une insulte personnelle. Yuvuy prend sa
main, et le contact la fait sursauter.
–
Un problème, Philippe ?
–
Non, non, je voulais juste vous remercier pour mon nouveau corps, il
fait des merveilles ! Les hommes ne regardent que moi. Sur ce je
vous laisse, je vois que vous êtes occupé avec un nouveau jouet…
Ses
yeux pivotent à nouveau vers Léa, implacables et profonds comme
deux gueules de canons.
–
Ne nous le cassez pas trop vite, il a l'air amusant… Tu viens,
David ?
L'adolescente
au corps sauvage, dans une robe longue aux échancrures si profondes
qu'elles la laissent à moitié nue, lance vers eux un clin d’œil
mutin et passe son bras à celui de Philippe. Pendant quelques
instants, Yuvuy, songeur, contemple les fesses des deux femmes qui
s'éloignent dans un dandinement gracieux.
–
Il est bien gentil, Philippe. C'est une fille vaniteuse et pas très
maligne, mais c'est le genre de défauts qui deviennent des qualités,
à l'horizontale.
Léa
pince les lèvres. Ce gout des hommes pour les femmes stupides !
–
Tu vois, Pierre, il y en a qui sont ravis du destin que je leur
offre.
–
Que voulez-vous, à la fin ? Toutes vos pétasses ne vous
suffisent plus ? Je manque à votre collection ?
–
Ne te surestime pas et, surtout, SURTOUT… ne le prends pas sur ce
ton avec moi !
Plus
effrayée qu'elle veut bien se l'avouer, Léa baisse
imperceptiblement les paupières.
–
Tu vois les trois hommes que nos charmantes amies viennent de
quitter ?
Léa
les regarde. Le premier a un peu l'aspect d'un étudiant projeté par
mégarde dans un habit de soirée. Son front haut surmonté d'une
tignasse frisée et ses grandes lunettes rondes semblent ajouter à
son regard un air de perpétuelle interrogation. Il se tient un peu à
l'écart, les bras ballants, regardant autour de lui comme s'il se
sentait étranger à tout cela. Le second arbore un smoking à la
coupe parfaite. C’est une vraie gravure de mode, avec sa carrure
d'athlète en trapèze bien souligné, sa mâchoire large taillée
pour attirer les bouches, ses yeux profonds sous la barre régulière
de ses sourcils et ses mains vigoureuses, à faire frémir n'importe
quelle peau féminine sous la caresse. Le troisième, c'est quelque
chose que Léa n'a jamais vu de sa vie, sauf dans les films. Une
armoire qui bouge, un monstre d'homme, les bras épais comme des
jambons, le torse comme une barrique, le cou avalé par les épaules
avec une paire de petits yeux porcins au-dessus de tout ça, plantés
au milieu d'un crâne qui a l'air fait pour défoncer les murs. Léa
s'étonne de ne pas avoir remarqué plus tôt ce phénomène… Elle
se demande même soudain si, tout à l'heure, lorsque les femmes
étaient avec eux, l'homme avait vraiment cette apparence-là. Avec
ce diable d'Yuvuy, tout est possible !
–
L'un d'eux s'est voué à l'intelligence, l'autre à la brutalité,
quant au dernier, il s'est donné à la séduction et au plaisir. À
chacun j'ai confié un peu de poudre métamorphique. Celle de
l'intellectuel te fera redevenir l'homme que tu étais. Celle de la
brute animale te laissera à jamais dans ton corps de femme…
Léa
ne peut s'empêcher de lâcher un ricanement.
–
Vous, au moins, vous n'avez pas peur des clichés !
Yuvuy
poursuit sans relever.
–
… et celle du jouisseur, elle, te permettra d'accéder à quelque
chose de spécial. Il s'agit de devenir une manière de Janus, un
être à la double identité. Tu pourras librement changer de corps
et passer d'un sexe à l'autre, tant que tu en as envie. Vois-tu,
c'est une petite idée qui me trottait dans la tête depuis
longtemps. Peut-être que tu voudras l'expérimenter pour moi…
–
Alors, c'était ça, votre objectif ? Vous m'avez pris comme
cobaye !
–
Cesse donc d'essayer de comprendre mes motivations ! Cela
t'évitera de mettre du désordre dans ta jolie tête. Si tu reçois
la poudre permettant de modifier ta nature à volonté, sache qu'elle
aura un prix, néanmoins : quelle que soit ta forme,
masculine ou féminine, dis adieu à l'idée de procréer, tu n’auras
pas d’enfant. Maintenant, fais ton choix, tu dois séduire un de
ces trois hommes, pour le convaincre de te donner la poudre qu'il
détient. Ça ne devrait pas être trop difficile…
–
Vous oubliez que je vais bientôt me marier ! J'aime mon fiancé
et je n'ai aucune envie de me jeter dans les bras du premier venu !
–
Libre à toi, Pierre, mais, dans ce cas, c'est moi qui prendrai la
décision à ta place…
O
Léa
ne peut quand même pas abandonner son destin entre les mains
d'Yuvuy ! Elle s'avance, lentement, pour se laisser le temps de
réfléchir.
Retrouver
son existence masculine ? Avec le recul, sa vie d'homme lui
semble tellement terne ! Mais qui sait ce que Pierre pourrait en
faire, fort de tout ce qu'il a appris durant ces années passées à
être Léa ? Et puis, il pourrait revoir sa famille et retrouver
ses amis. Tant de gens lui manquent !
Rester
à jamais dans cette chair de femme ? Elle s'y sent étrangement
bien, maintenant. Léa est amoureuse, s’apprête à fonder une
famille et la seule idée d'avoir des enfants la gonfle d'un bonheur
dont elle ne soupçonnait même pas l'existence. Bien sûr, tout
n'est pas parfait, loin de là et, au fond d'elle, Léa sait bien que
son identité d'homme n'a pas disparu ; elle s'est juste
adaptée. En fait, Léa se dit souvent que sa vie de femme n'est
qu'un mensonge, un mensonge particulièrement bien réussi. C'est un
rôle que Pierre joue 24 heures sur 24 et Léa tremble à l'idée
qu'un jour cette illusion s'effondre et qu'on découvre sa véritable
nature.
Garder
ses deux identités ? Aller de l'une à l'autre sans
contrainte ? C'est apparemment la solution la plus excitante.
Léa deviendrait quelqu'un d'exceptionnel et elle aurait un pouvoir
dont rêvent tant de gens ! Mais, dans son ventre, quelque chose
se tord. Ce serait renoncer aux enfants. Et puis, Léa sait bien
qu'ainsi elle ne pourrait jamais être vraiment d'un sexe ou de
l'autre et elle a peur de la solitude que cela implique !
Quand
elle arrive devant les trois hommes, elle ne s'est pas encore
décidée…
O
Léa
a pris l'habitude de s'attacher aux détails et quelque chose la
dérange, dans ce trio de caricatures masculines. Ses yeux se portent
sur le plus beau des trois, le playboy. Elle ne le fixe pas, bien
sûr, c'est le genre de chose qu'elle évite de faire depuis qu'elle
est une femme. Cependant, en quelques touches discrètes, elle a
remarqué une bosse déformant sa poche. Le haut d'un livre tout
écorné en émerge…
–
Vraiment ? Vous avez tellement peur de vous ennuyer à cette
soirée que vous prenez de la lecture ?
Les
yeux de l'homme, figés par les pensées qui l'absorbent, se
déverrouillent soudain. Le retour à la réalité lui donne l'air
tout étonné.
–
Quoi ? Oh… Une vieille habitude. Je n'aime pas garder mon
esprit inoccupé.
Il
la découvre et la trouve belle, elle le perçoit rien qu'à sa façon
de faire pivoter son torse vers elle. Il s'apprête visiblement à
poursuivre la conversation, mais Léa se contente d'un bref sourire
et recule légèrement.
Si
l'intellectuel se cache sous l'apparence du séducteur...
Léa
s’intéresse à celui qui a des allures d'étudiant. Elle sent de
la glace traverser son regard et remarque, le long de son cou,
quelques traces de griffures mal cicatrisées. Peut-être une proie
qui a essayé de se défendre. « Voilà pour la brute ! Ce qui
nous laisse l'adorateur des plaisirs… ». À côté, la montagne
humaine est en train de déguster un petit four, grignotant avec
extase chaque minuscule bouchée, savourant lentement les gouts et
les arrière-gouts entremêlés.
Léa
sait maintenant comment sont répartis les rôles. Elle ne prend même
pas la peine d'en vouloir à Yuvuy pour avoir essayé de la berner
avec ces trompeuses apparences. Après tout, elle est dans le jeu
d'un être qui contrôle la métamorphose… En réalité, cette
petite mise en scène a même pour effet d'apaiser Léa. Sans qu'elle
sache bien pourquoi, découvrir la véritable nature de ces trois
hommes, au-delà de leur aspect, lui a enfin permis de faire son
choix.
Aiguisant
ses charmes, Léa se tourne vers celui qu'elle va s'employer à
séduire. Derrière elle, Yuvuy a compris que son subterfuge est
éventé. Décidément, Pierre ne l'a pas déçu ! Un sourire se
dessine sur son large visage lorsqu'il voit vers quel avenir Pierre
est en train de s'avancer…
voilà une énigme intéressante. Toujours autant de talent Cyrille
RépondreSupprimerBravo ! :)
RépondreSupprimerBien contente d'être dans l'histoire
Merci !
RépondreSupprimer@Arnaud : oui, en relisant, je crois que j'ai à peu près réussi à mettre tout le monde... Sauf moi ! Les cordonniers... ;)
superbe histoire! quel talent, quel plume! Et merci pour les guests ;-)
RépondreSupprimerQuels compliments !
RépondreSupprimerPadekoi Philangie.
Merci et bravo pour cette histoire Cyrille :)
RépondreSupprimerMerci Alex. C'est une histoire qui m'avait pris de temps, au moment où je l'ai publiée sur TGARTF, et qui m'a demandé encore plus en relecture, avant de la poster ici, mais j'ai l'impression que ça valait le coup.
RépondreSupprimerBelle histoire qui résume bien toutes les conséquences d'une transformation ;) Il ne manque à Léa que d'essayer le mannequinat ! Et je pense bien qu'elle va séduire le faux étudiant ! :)
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