Une vraie garce !

   
    
C’était ce genre de petite allumeuse exaspérante qui s’amuse à provoquer les hommes et se refuse toujours à eux. Ce qui l’excitait, c’était la frustration qu’elle voyait brûler dans leurs regards. J’ai toujours manqué de patience avec les filles comme elle, leurs manières m’insupportent ! Celle-là, pourtant, je m’étais laissé abuser. Et, au moment fatidique, bien sûr, elle s’est mise à me narguer, un rire impitoyable dans les yeux :
Sérieusement, tu t’es imaginé que toi et moi nous allions… C’est trop drôle ! Mais enfin, regarde-toi ! Je ne suis pas désespérée à ce point-là, tout de même…
Elle a terminé sa phrase en faisant résonner un petit soupire de contentement qui m’a poussé à bout. À cet instant, j’aurais pu me jeter sur elle, et doucement briser sa nuque si fine ! Mais je n’étais pas quelqu’un de violent et, d’ailleurs je n’avais pas besoin de l’être. J’avais hérité de quelque lointaine parente un peu sorcière certains pouvoirs particuliers qui pouvaient parfaitement résoudre mon problème à cet instant. Sous les yeux de la fille, qui tout d’un coup faisait moins la fière, je me suis changé en forme de brume et, dans un souffle fulgurant, j’ai investi son corps ! Ayant pris le contrôle de cette péronnelle, je me délectai des hurlements intérieurs qu’elle poussait. Elle n’était plus qu’une pauvre petite chose enfermée au fond d’elle-même.
Il faut laisser à cette bêcheuse qu’elle n’avait pas tout-à-fait tort. Avant de prendre son enveloppe, je n’étais certainement pas un homme très intéressant. D’ailleurs, c’est sans doute parce que je n’ai jamais été un mâle très viril que j’aime autant jouer à être une femme, maintenant. Je me trouve en fait très bien dans cette peau de fille ! Et j’ai découvert qu’exciter les hommes, c’est terriblement agréable. C’est tellement facile de les manipuler, d’en faire tout ce que j’en veux en leur faisant simplement miroiter mes faveurs… J’adore ce moment où ils se rendent compte qu’ils ne sont que des pantins, mais où ils continuent malgré tout à se laisser faire, parce qu’ils ne peuvent pas s’empêcher d’y croire… Pour une fille, c’est bon comme un orgasme !
C’est tellement agréable que j’ai bien l’impression que je ne rendrai jamais son corps à cette malheureuse idiote. Ah ! Elle m’a entendu, je crois. Tout d’un coup j’ai senti résonner de petits grincements hystériques au fond de moi-même. Cela faisait longtemps. Elle se manifeste de moins en moins souvent, à mesure que le temps passe. Je pense que sa disparition définitive ne va plus tarder beaucoup…
Dommage pour elle, c’est tellement amusant d’être une garce !


Elle a fini par disparaître, par sortir de ma tête et de ma vie. La fille dont j’ai pris le corps s’est estompée définitivement et je me trouve très bien sans elle. Maintenant, ce corps est pour moi seule et c’est tout ce qu’il me faut pour prendre un nouveau départ. Jusque-là, j’ai un peu joué avec les hommes, mais sans être vraiment très sérieuse. Il est temps que je pense à mon avenir.
J’ai quitté l’emploi de réceptionniste de la pauvre gourde dont j’occupe le corps et, après quelque temps, j’ai décroché une place de chanteuse dans une revue. C’est un excellent moyen d’atteindre les hommes qui m’intéressent. Je suis belle, jeune et ma jolie tête sait rester froide. Je n’ai pas de grands talents, je n’en ai qu’un seul en fait, mais il me va à la perfection : je sais comment subjuguer les messieurs.
Très vite, j’ai des admirateurs. Ce sont des hommes confortablement installés dans la vie, qui cherchent l’évasion d’une petite distraction sans conséquence. Ils s’agglutinent autour de moi, bien décidés à dévorer toute crue l’ingénue farcie de rêve qui semble prête à tout contre la promesse d’une petite place au soleil. Ils me prennent pour du gibier, ça fait partie du jeu, mais en fait ils s’illusionnent ! Le gibier n’est pas celui qu’on croit… Ce qu’il y a d’extraordinaire, c’est que plus je les manipule, plus je les brime, et plus il en vient pour se jeter à mes pieds ! D’un battement de cils je peux les faire saigner, et ils accourent pour me couvrir d’attentions. D’une parole je les renvois au néant, et ils s’empressent au moindre de mes caprices ! Mais c’est dans l’ordre des choses, après tout. Les hommes sont des faibles, qui rêvent secrètement qu’on décide pour eux.
Ce n’est qu’un début. Pour l’instant, je ne suis encore qu’une aventurière, une fille qu’on regarde de haut, mais je sais où je vais et j’obtiendrai d’eux tout ce qui me fait envie ! Quand j’y repense, je me dis que mon corps masculin était vraiment une erreur du destin. En réalité, j’ai toujours été fait pour devenir cette scintillante petite créature…


Quand je le rencontre ce soir-là, je me dis tout d’abord qu’il n’est qu’un de ces imbéciles ordinaires, de ceux que je mets si facilement dans ma main. Il est grand, bien découplé et porte son smoking avec élégance. Il a une femme à son bras, un peu trop belle et qui rit un peu trop fort à ses plaisanteries. Elle a dû lui couter cher. Il respire l’argent facile, celui qui vient sans qu’on ait à le gagner. Je le trouve intéressant.
Je le revois ensuite, naviguant en bordure de mon cercle de prétendants, toujours accompagné d’une élégante à la compagnie tarifée, différente à chaque fois. Il affiche une sorte de distance amusée et, quant à moi, je ne semble pas vraiment retenir son attention. C’est une chose qu’une femme dans mon genre supporte difficilement. Piquée au vif, je m’arrange à plusieurs reprises pour me retrouver seule avec lui et, étonnamment, je sens une complicité spontanée s’établir entre nous. J’ai l’impression alors qu’il abandonne son personnage. Mais cela ne dure jamais et, dès que nous retournons vers les autres, il reprend son attitude de supériorité ironique ; comme si, nous tous autour de lui, nous n’étions qu’une ménagerie pittoresque.
Alors que je suis sur le point de me résigner à ne rien obtenir de celui-là, je reçois une invitation à diner. La soirée a tout pour être parfaite : le restaurant est stylé, le menu est hors de prix et, moi, je suis somptueuse. Quand je m’en donne la peine, les hommes ont vraiment beaucoup de mal à m’ignorer. Il ne fait pas exception et je vois bien que je lui fais de l’effet. Mais son comportement me déconcerte. Pas un instant il ne cherche à pousser son avantage. Par la suite, il me sort ainsi à quelques occasions, mais sans jamais rien tenter de plus. Les autres hommes le considèrent désormais comme un concurrent sérieux, et ils ont bien tort : nos rencontres restent désespérément convenables. Cela me trouble, je l’avoue. Je sais bien pourquoi un homme comme lui me tourne autour. Les mâles veulent à leur bras des preuves de bonne fortune, garnies de robes fourreaux et de bijoux. Mais, au-delà de cette comédie de paillette, je devine dans ses yeux de véritables moments d’intérêts pour moi, et je ne comprends pas pourquoi il refuse de franchir le pas. Je n’ai pas à me plaindre, cependant, il me comble de cadeaux. Mais je sens bien que je n’ai aucune prise sur lui et je n’ai pas l’habitude d’être ainsi menée dans la partie.
Quand, enfin, il se décide à m’embrasser, il se montre tout d’un coup passionné et impatient. Il me sert dans ses bras comme si j’étais la chose la plus précieuse de toute son existence. À cet instant, dans ses yeux, je suis la plus belle femme au monde ! Et pour la première fois, quelque chose se met à brûler dans ma poitrine. J’ai le souffle court quand il relâche mes lèvres. J’ai enfin vaincu ses résistances, mais je ne songe même pas à jubiler… Je crois que je suis amoureuse.
 

Il me fait pénétrer dans son monde, un monde de puissance et d’argent, là où les autres n’ont jamais pu m’amener. Soit qu’ils n’en avaient pas les moyens, soit parce qu’ils étaient trop lâches. Les hommes sont si fragiles, quand il s’agit de leur image ! Celui qui s’affiche dans la bonne société avec une fille comme moi est tout de suite vu comme un benêt qui s’est laissé mettre le grappin dessus – souvent à juste titre, il faut bien le reconnaitre. Les hommes ont le droit de nous braconner, et même d’être amoureux, ils peuvent s’afficher avec nous dans un certain monde, le monde des plaisirs et des demi-mondaines, mais ils n’officialisent jamais ce genre de relation dans leur monde d’origine, le monde comme il faut, cela ne se fait pas. Lui, pourtant, il a décidé clairement d’envoyer au diable toutes ces précautions. Il m’introduit dans les cercles les plus sélects et tous ces gens puissants et riches font semblant de trouver ça normal, parce qu’il est encore plus puissant et plus riche qu’eux tous !
Les choses vont vite, et je suis trop étourdie par l’exaltation pour m’en rendre compte. J’emménage chez lui, il m’ouvre un compte rempli d’une indécente quantité d’argent, pour faire les boutiques tant que j’en ai envie, il me présente à ses amis et me laisse entrer dans sa vie entière, sans restriction. Je prends cette place avec naturel, découvrant que cela me va comme un gant… Et mes sentiments amoureux grandissent. Un mois à peine après notre premier baiser, je décide d’abandonner ma carrière de chanteuse pour me consacrer entièrement à mon amant.
Quand il m’annonce qu’il va me présenter à ses parents, un gonflement de triomphe me submerge. Si je manœuvre bien, l’étape suivante, ce sera le mariage ! Pour la première rencontre avec sa famille, je choisis une tenue élégante, mais sobre. Je me dis qu’il est inutile de singer une richesse que je n’ai jamais eue et, bien entendu, je veux en même temps éviter tout ce qui peut rappeler en moi la chanteuse de revue. Ces précautions sont cependant inutiles : j’aurais pu tout aussi bien venir avec un justaucorps garni de plumes ! Ses parents me voient comme une petite arriviste et leur attitude glaciale ne me laisse réellement aucune chance. Bien sûr, je ne me faisais pas d’illusions. Dans ce milieu, on ne pardonne jamais aux filles comme moi d’essayer de gagner leur place. Mais tout de même, je me trouve bizarrement déçue en sortant de la maison familiale. En fait, peut-être que, tout au fond de moi, j’avais l’espoir que ses parents réalisent, qu’ils se rendent compte qu’il y avait autre chose que l’argent en jeu. Mon compagnon me dit que tout cela n’est pas si grave et que ça ne change rien.
Je le crois, pendant quelques semaines. Jusqu’à ce soir-là. J’ai passé une bonne partie de l’après-midi à me préparer pour cette réception où nous devons nous rendre, et le résultat en vaut la peine. Je suis tout simplement époustouflante, gainée dans cette sublime robe de gala ! Une fois prête, je l’attends. Il a du retard. Quand il rentre, il pend tranquillement sa veste et, ignorant me reproches et mes gestes pressés, il s’assied. Puis il m’explique que je dois vider les lieux. Dès maintenant.
Mes parents voulaient absolument que je reprenne les rênes de l’empire familial, après l’été. Moi, ça ne me disait trop rien. Je trouve que je suis encore un peu jeune et puis j’aime bien trop m’amuser. Je voulais qu’ils me laissent quelques années de plus.
Mais… quel rapport avec moi ? Avec nous ?
Disons que ta présence à mes côtés les a inquiétés. Ils sont devenus tout d’un coup beaucoup plus réceptifs à mes arguments.
Notre histoire c’était juste… un chantage ?
Bien sûr ! Ils ne voulaient pour rien au monde voir leur unique héritier se commettre dans les bas-fonds, enfin, pas si ouvertement… Et voilà, ils viennent de m’annoncer que je pouvais prendre tout mon temps ! Ton rôle est terminé.
Je le regarde fixement. Mon monde vient de s’effondrer et je ne me sens même pas en colère. Je suis seulement vide. Entièrement vide. Il poursuit, un rire impitoyable dans les yeux :
Sérieusement, tu t’es imaginé que toi et moi nous allions… C’est trop drôle ! Mais enfin, regarde-toi ! Tu n’es qu’une pute, voyons !


Je ne peux pas revenir à mon ancienne vie. Rien ne m’en empêche, mais elle a perdu toute saveur. Pendant un moment, j’essaie de me griser en dilapidant la petite fortune que mon fiancé m’a laissé, en guise de prime de licenciement. Mais je ne fais que masquer ma blessure. Chaque billet qui passe entre mes doigts a le gout amer du reniement. Je finis par me dire qu’il avait raison : je ne suis qu’une pute qui s’est prise à son propre rêve. Je me sens idiote.
Je voudrais quitter ce corps et cette vie ridicule, mais je me rends compte que mes pouvoirs magiques ont totalement disparus. Sans doute qu’ils ont mal supporté mon séjour dans ce physique qui ne m’appartient pas vraiment. En tout cas, je ne peux plus me fuir et, bien obligée de continuer, je m’abandonne à tous les bras qui se tendent. Je leur donne mon cul, puisqu’il n’y a que ça qui les intéressent. Ils me laissent après une heure, ou une semaine, en fermant la porte sans se retourner, après avoir posé de l’argent sur la table de nuit. Je reste dans les draps, vide et inutile. J’ai l’impression qu’il me manquera toujours quelque chose.
Je suis tellement rongée de solitude que je finis par m’accrocher à n’importe qui. J’essaie d’y croire mais, malheureusement, je ne peux jamais garder les yeux fermés bien longtemps. Je me réveille à côté d’épaves, ou avec des salauds. Je trouve encore la force de m’en aller, même si je me dis qu’au fond, je ne mérite pas mieux. À la fin, je ne sais même plus comment espérer. Un mac met la main sur moi et il me prend tout mon argent. Je ne me débats plus.
Pourtant, un jour, je me regarde dans la glace et je me dis que peut-être, je mérite au moins la paix. Alors je pars le plus loin possible. Dans une petite ville, j’arrive à me faire engager comme secrétaire. Bien sûr, je dois écarter les cuisses, mais j’ai l’habitude. Mon patron n’est pas un type très difficile à satisfaire et, le reste du temps, il me laisse tranquille. J’en suis là de ma vie, réfugiée dans cette petite médiocrité, attendant le silence… J’en suis là quand il ressurgit dans mon existence ! En revenant du travail, un soir, je le trouve devant ma porte. Dès que ses yeux se posent sur moi, je me rappelle que je suis encore jeune et que je suis toujours belle. Mon sang se remet à circuler dans mon corps et j’étouffe soudain sous la confusion et la colère. Heureusement, il n’a pas l’air de voir les sentiments qui m’agitent.
– Tu sembles en forme…
Il n’y a aucune trace d’ironie dans sa voix. Il me regarde quelques secondes, des pieds à la tête.
– Et je vois que, malgré tout, tu as pris soin de mon corps…


Il est assis dans mon salon. Je lui ramène une tasse de café. Je le regarde.
Ça ne peut pas être toi !
Il hausse les épaules. Malgré moi, son arrogance tranquille ne me laisse pas indifférente.
Et pourtant… Je suis bien celle qui occupait cette peau avant que tu ne la voles.
Il se penche et pose ses coudes sur ses genoux écartés.
Quand tu as pris possession de moi, ça a été atroce. J’avais l’impression que mon âme se froissait comme une boule de chiffon, qu’elle devenait minuscule. Autour de moi, tout était compact et j’étais emprisonnée au cœur d’une masse complètement fermée. Je n’avais même pas mal, ni chaud, ni froid, je ne ressentais plus rien. J’étais coupée de la vie et pourtant, j’étais toujours là. Tout ce que tu vivais me parvenait, mais seulement comme un relief d’existence, déformé, à la fois immensément amplifié et sans aucune saveur. Les images me noyaient dans d’énormes taches de couleur, les contacts les plus légers m’écorchaient, les plus petits sons me frappaient comme des cloches de cathédrales battant à mes oreilles, tout ce qui caressait tes papilles entrait en moi comme si des objets immenses gonflaient brusquement à l’intérieur, et les odeurs me baignaient, denses, entêtantes, presque palpables… Et pourtant, rien de tout ça ne m’atteignait vraiment. Rien ne m’appartenait plus. J’étais comme une passagère impuissante, témoin de tout, mais bloquée derrière une infranchissable paroi…
J’ignore pourquoi, mais son récit m’irrite. J’essaye de couper court.
Je ne pouvais pas savoir que ta situation était si horrible, je...
N’essayes pas de t’excuser. De toute façon tu n’es pas très douée pour avoir des remords ! C’est sans doute ce qui fait ton charme…
Ses yeux repartent dans le vague. Il reprend le fil de ses souvenirs.
Le temps a passé de manière étrange, interminable et brusque à la fois. De jour en jour mon existence se réduisait. Quand j’ai senti que la torpeur commençait à me prendre, je me suis battu une dernière fois. J’ai voulu m’extraire de ce corps devenu le tien. C’était dur, aussi dur que de s’arracher d’un bloc de granit ! Je ne sais pas où j’ai trouvé cette force mais, tout d’un coup, je me suis retrouvée à flotter dans le vide. L’air glissait autour de moi, il me portait, j’étais libre. Par chance, j’avais emporté avec moi tout ce qui te restait de pouvoirs. J’ai voulu immédiatement les déchainer sur toi – à ce moment-là, j’étais un véritable brasier de rage, crois-moi. Mais les forces surnaturelles ont refusé de te prendre pour cible, sans doute à cause de la filiation que tu conservais avec elles. Alors, j’ai commencé à chercher une nouvelle enveloppe…
Son regard passe sur moi. Je croise les jambes, un peu nerveuse et je pose une main sur ma poitrine. Et s’il était venu finir sa vengeance ? Ma maison est isolée, en retrait de la rue et personne ne m’entendrait crier. Il ne semble pas remarquer la légère raideur qui s’est emparée de moi et il poursuit :
Je l’ai trouvé au bord d’un pont, le visage tiré par la souffrance, le regard creux, prêt à sauter dans l’eau glaciale. Il était jeune, bien fait, il portait des vêtements fins, à moitié déchirés. Quand j’ai pénétré son corps, il s’est tout de suite laissé aller. Il s’est jeté dans le repos, presque reconnaissant. Il en avait assez de lutter, je crois. J’avais bien choisi, comme tu peux le voir : moi, la petite réceptionniste, la peste qui perdait son temps à faire fantasmer les minables, j’étais devenue un riche héritier ! Bien sûr, mes nouveaux parents étaient d’abominables personnes, mesquines, retorses et contournées et ils menaient une vie impossible au pauvre garçon dont j’avais pris la place. Seulement, moi, je m’en fichais complètement ! Tu occupais toutes mes pensées alors, et pas exactement pour les meilleures raisons qui soient. Ça n’a pas été très difficile de retrouver ta trace. Quand je t’ai revu, lors de cette soirée, jouant les princesses au milieu de cette bande d’idiots, je t’aurais volontiers brisé les jambes. Oui, j’aurais même été capable de t’arracher le visage.
Arrête ! Tu deviens dégoûtant. Je vais aller nous refaire du café…
J’essaye de me lever, mais sa main se pose sur mon bras. Elle est ferme, sans aller jusqu’à la brutalité.
Reste donc ici et arrête de trembler comme une gourde, je ne suis pas venu pour t’étriper ! J’essaye seulement de t’expliquer… Si je ne t’ai pas taillée en pièces, c’est parce que je voulais quelque chose de plus vicieux. Je voulais que tu te sentes responsable de ta déchéance, comme je m’étais sentie responsable de la mienne. La suite, tu la connais. Tu es tombée dans le piège tête baissée, comme une vraie midinette. C’était presque trop facile, tellement tu n’attendais que ça ! Quand j’ai vu que tu étais réellement amoureuse, c’était terminé, je n’avais plus qu’à organiser la rencontre avec mes “parents” avant de te jeter dehors. Et toi, tu as tout gobé !
Un reste de fierté m’enflamme un instant.
Il n’empêche ! Je t’ai fait cracher un beau paquet d’argent !
Quelle importance ? Tu étais tellement humiliée que je savais que tu serais incapable d’en profiter…
Il passe un regard sur la pièce autour de lui. Le revêtement terne sur les murs, le mobilier bon marché, la décoration sans grâce…
Et je crois bien que j’ai vu juste !
Oui ! Oui, tu as vu juste ! J’ai complètement gâché ma vie, j’ai perdu et tu as gagné, voilà ! Tu as tout et je n’ai rien ! Bravo, félicitations ! C’est ce que tu voulais entendre n’est-ce pas ? C’est pour ça que tu es venu ?
En fait, je ne sais pas très bien pourquoi je suis venu. Tu vois, quand je t’ai chassé, je pensais me sentir enfin calme, mais ça n’a pas vraiment fonctionné. J’ai continué à penser à toi. Ce n’était plus de la colère, juste une image dont je n’arrivais pas à me débarrasser.
Quelque chose se réveille en moi. Je n’ose plus bouger, ni respirer.
Je crois qu’en fait, je suis venu seulement pour essayer de m’enlever ta présence de là…
Il se tape le front de l’index.
Et je me rends compte en te regardant…
Un espoir complètement absurde frappe dans ma poitrine. J’y résiste de toute mes forces, je ne veux pas donner ce plaisir à mon ennemi, je ne veux pas retomber dans son piège et, en même temps, je me suspends aux mots qu’il va prononcer. Il pousse un long soupir.
Je ne sais pas si c’est parce que tu es dans mon ancien corps, ou si c’est parce que nous sommes tellement semblables, toi et moi… Mais je sens qu’il y a quelque chose entre nous, une sorte de connexion, et je ne veux pas la briser. C’est drôle, mais je crois que tu me manques…
Alors, comme deux adversaires épuisés par le combat, nous nous jetons dans les bras l’un de l’autre, et sa bouche part à la rencontre de la mienne.






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