BodySuit Rallye





Première manche


Louis était le rejeton d'une famille fortunée. Il avait 25 ans et traînait son oisiveté avec ses nombreux amis, riches tout comme lui, désœuvrés tout comme lui, blasés tout comme lui.


– Viens Louis, je t'assure, ce type est formidable. Il faut que tu voies ça. Il s'appelle Bartiméo…


– Des BodySuits… disait Bartiméo, une grande blonde très mince à la voix langoureuse.
Elle mit la main sur sa nuque, fit glisser quelque chose le long de son dos et la peau de la blonde tomba à terre, laissant apparaître Bartiméo, un petit homme replet.
– Ce sont des costumes qui changent entièrement votre corps. Continua l'homme d'une voix grave. Quand vous le portez, personne ne peut savoir qui vous êtes réellement en dessous !


– Je vais vous proposer un jeu… 
Bartiméo se tut et ses yeux de vieille dame passèrent sur chaque personne de l'assemblée. Il reprit, de sa voix râpeuse voilée par les ans : 
– Un jeu qui vous procurera plus de sensations que vous ne pouvez l'imaginer…


Enfin quelque chose qui promettait d'être amusant ! Bartiméo avait organisé un rallye en BodySuit.
– Il y aura trois manches. Pour passer d'une manche à l'autre, il vous faudra, chacun, trouver une clé comme celle-ci…
Bartiméo, un jeune rouquin à la carrure de lutteur, montrait à tout le monde une petite clé bleue. 
– Cette clé vous permettra d'ouvrir un coffret contenant les instructions pour la manche suivante. Le but est de terminer les trois manches le plus vite possible.


Six garçons et quatre filles décidèrent de prendre part au rallye, qui allait durer un mois entier au minimum, et certainement beaucoup plus. Chaque participant devrait suivre son propre parcours. Pour commencer, il y avait dix coffrets, répartis entre les concurrents par tirage au sort, chacun contenant un BodySuit différent des autres, accompagné d'instructions spécifiques.


Louis entra dans la cabine d'essayage du magasin qu'on lui avait indiqué. Il se mit nu et ouvrit son coffret. Il contenait une sorte de combinaison de peau complètement informe. Impossible de savoir à quoi on allait ressembler en enfilant ça ! Il n’y avait rien d’autre dans la petite boite et Louis s’énerva un peu de ne pas trouver les instructions. Il décida tout de même de passer la combinaison. Dès qu’il enfila un pied dedans, la peau étrangère s'anima et se mit à glisser sur la sienne comme si elle avait pris vie ! Louis, surpris, se débattit un peu mais la peau collait à lui en suivant chacun de ses mouvements et, après avoir remonté tout son corps, elle finit par se refermer sur son crâne. Louis regarda alors dans la glace, devant lui. Il s’exclama : « c'est quoi, ce truc ? » et il entendit une voix de gamine prononcer ces mots, en même temps qu’il vit le visage du reflet s'animer. Il était… cette gosse dans le miroir ? C'était incroyable ! Il était devenu une fille, une adolescente d'à peu près quinze ans. Il avait des cheveux longs, épais, qui lui tombaient sur les épaules, avec un nœud attaché dedans ; il portait une petite veste sage sur un chemisier brodé, une jupe qui descendait jusqu'à ses genoux, des socquettes et des souliers vernis !
Deux renflements, haut perchés et pointus, déformaient le chemisier. Louis plaqua ses paumes dessus et sentit deux petites boules molles glisser sous ses mains à travers le tissu. Les bretelles d'un soutien-gorge tirèrent sur ses épaules. Formidable ! Il avait des seins ! Louis ouvrit la bouche et il vit dans la glace l'adolescente écarter les lèvres pour prendre une expression d’étonnement joyeux. C'était donc vrai : le BodySuit l'avait entièrement transformé ! Pour dissiper toute forme de doute, louis plaqua une main sur son bas-ventre. Sous sa jupe, tout était plat. Il la souleva et regarda un long moment une petite culotte blanche, propre et complètement lisse. Il fouilla avec ses doigts entre ses cuisses et ne rencontra qu'un renflement de chairs moelleuses. Presque tout de suite, les frottements sur cette peau inconnue allumèrent dans son ventre des sensations étranges de chaleur mêlées de picotements. Louis avait inexplicablement envie de pousser plus loin son exploration, mais les anneaux du rideau de la cabine se mirent à grincer le long de la tringle et il eut tout juste le temps de rabattre sa jupe. Une femme d'une quarantaine d'année passa sa tête par l'ouverture.
– Alors, Adèle ? Tu viens ? Dit-elle d'un ton impatient.
– Oui… Oui, j'arrive… Madame ! Louis avait honte qu’une femme le voie dans ce corps de fille. Il avait l’impression d’être un travesti.
– Madame ! répliqua la femme en levant les yeux au ciel et en souriant, Tu fais encore ta petite impertinente à ce que je vois. Mais rassures-toi, Adèle, ta mère a su rester simple : tu peux m'appeler maman !
En sortant de la cabine, les yeux baissés pour cacher sa confusion, Louis vit une petite enveloppe qui dépassait légèrement de la poche de sa veste. « Les instructions, se dit-il, elles étaient cachées dans le BodySuit ! »


« Pour tout le monde vous êtes un modèle, et personne n'a de reproche à vous faire. Soyez vilaine, si vous le souhaitez, mais surtout ne vous faites jamais prendre… ».
Une simple feuille, avec cette phrase sans queue ni tête, c'était tout ce que contenait l'enveloppe. Louis glissa le papier dans le tiroir de sa table de nuit et il regarda à nouveau cette chambre de jeune fille, la chambre de cette Adèle. Cela lui faisait tellement bizarre de se retrouver là, et d’être dans ce lit ! Punaisés au mur, il y avait des posters de chanteurs pour adolescentes, au-dessus d’un bureau où trônait une petite boite regorgeant de bijoux de gamine. À côté, une armoire rassemblait, soigneusement pliés, tous ses accoutrements de fille. Des pantoufles roses étaient rangées sous le lit, la lampe de chevet portait un abat-jour décoré avec des cœurs, et Louis se trouvait sous une couette imprimée de dessins de chatons. Il était habillé d’un pyjama avec un grand décolleté en rond et, caché dessous, il y avait cette fente qui était déjà redevenue moite. Tout cela était si… si…
En se mordant la lèvre inférieure, Louis glissa sa main entre ses cuisses et recommença à masturber son corps de fille. C'était la troisième fois ce soir. C'était tellement bon !


– Adèle ! Tu n'as encore rien écouté ! Tu es vraiment dissipée aujourd'hui ! Franchement, tu m'avais habituée à mieux…
Sous le regard sévère de sa professeure, Louis, penaud, baissa les yeux sur sa feuille. C'était contrariant, d'être une collégienne obligée d’obéir aux adultes. Le cours reprit. Sous l'effet de l'ennui, le corps de Louis se relâcha doucement et ses jambes s'écartèrent insensiblement l'une de l'autre. Un des garçons de la classe, la tête tournée en direction de sa jupe, se mit à sourire et avertit du coude son camarade assis à côté de lui. Quand Louis réalisa qu'ils étaient en train de reluquer sa culotte, il serra vivement les genoux et se redressa. C'était vraiment contrariant, d'être une collégienne.


Dans la cour de récréation, Louis était avec d'autres filles. Les copines d’Adèle, d'après ce qu'il avait compris. Leur caquetage futile ponctué d’exclamations l'agaçait. De temps en temps, Louis voyait du coin de l’œil que des garçons laissaient traîner des regards en direction de leur groupe. Louis savait ce qu'il y avait dans leurs têtes, il savait comment ils parlaient d'elles entre eux. Les jolies filles de la classe sont les premiers fantasmes d'une vie masculine. Le soir, ils devaient s'astiquer en songeant à elles et, décidément, Louis n'aimait pas l'idée que son corps entre dans les pensées d'un garçon en train de se faire jouir !


– Qu'est-ce que c'est que cette note, Adèle ?
– Mais papa…
– Pas de « mais papa » ! Tu étais la meilleure de ta classe ! Tu peux faire beaucoup mieux que ça !
Le sermon paternel continua. Adèle avait les joues rouges. Intérieurement, Louis enrageait. Perdu dans cette vie qui n'était pas la sienne, il n'arrivait toujours pas à comprendre les règles de ce jeu. Qui était ces gens autour de lui ? Les vrais parents, les vrais profs, les vrais camarades d'une véritable Adèle, dont Louis aurait pris la place ? Ou alors, c'étaient seulement des figurants placés là par Bartiméo, pour lui jouer une gigantesque mise en scène ? Ou peut-être que, parmi ces gens, il y avait d'autres concurrents du rallye, dissimulés sous un BodySuit ? Comment savoir ?


La porte s'ouvrit brusquement ! La maman d’Adèle la fixa, stupéfaite ! Adèle avait rabattu précipitamment sa couette pour dissimuler sa position honteuse, son vagin nu et sa main qui s'agitait dessus afin de calmer un peu les chaleurs dévorantes de son entrecuisse. Mais sa mère avait tout vu !


Les parents de la jeune fille avaient des mœurs plutôt rigides. Ils se mirent en tête de la guérir de ces envies sales ! Ils envoyèrent Adèle chez un psychologue et, de plus, elle fut punie pendant toute une semaine. Louis avait un peu peur, maintenant. Il se disait que c'était une semaine de retard pour terminer le rallye. Il se remémora les instructions qu'on lui avait données : « Pour tout le monde vous êtes un modèle, et personne n'a de reproche à vous faire. Soyez vilaine, si vous le souhaitez, mais surtout ne vous faites jamais prendre… ».
Louis se décida enfin à jouer son rôle, ce rôle d’adolescente sage ne donnant que des satisfactions.


Le psychologue faisait écrire Adèle. Elle devait noter toutes les idées inconvenantes qui lui passaient par la tête. Louis soupçonnait ce vieux dégoûtant de s'exciter sur ses fantasmes de jeune fille, une fois la séance terminée. Mais elle obéissait sans discuter. C'était étrange, d'écrire à la main : une écriture de fille lui venait spontanément, qui n'avait rien à voir avec celle de Louis quand il était un homme.


– Oh, s'il te plaît, maman, s'il te plaît, je veux ça !
Louis sautillait d'enthousiasme en regardant la petite clé bleue, accrochée à une fine chaînette en or, trônant dans la vitrine du bijoutier. Cette après-midi-là, la mère et la fille faisaient du shopping ensemble et elles étaient venues dans cette boutique pour une bague à faire élargir. La maman d’Adèle se mit à sourire en voyant l'excitation de sa fille.
– Ce pendentif en forme de clé ? Tu es certaine ? Tu ne préfères pas les jolies boucles d'oreilles juste à côté ?
Adèle secoua vigoureusement la tête. En mignonne petite fille, elle joignit les mains pour supplier et fit à sa maman un regard de chaton.
– Allons, dit la mère, tu t'es montrée si gentille depuis quelque temps… Je peux bien te faire ce petit cadeau.


Il y avait une adresse et un numéro, au dos de la clé. En se rendant sur les lieux, Louis découvrit qu'il s'agissait d'une piscine publique. Dans le vestiaire femme, le numéro correspondait à un casier dont la serrure s'ouvrit grâce à la clé bleue. Dedans il y avait juste un coffret. Comme la première fois, il ne contenait qu'une sorte de chiffon de peau informe : un nouveau BodySuit ! Louis retira ses vêtements et enfila la combinaison par-dessus son corps d’adolescente…




Seconde manche


Louis avait maintenant des seins de femme, des hanches de femmes et ses cheveux courts savamment ébouriffés formaient comme un halo autour de son visage de femme. Il était toujours dans la peau d’Adèle, mais plus âgée de quelques années, et agrémentée de nombreux charmes supplémentaires. En se regardant, Louis estima qu’elle devait avoir dans les 20 ans maintenant, peut-être un peu moins. Louis la trouvait grande, mais c'était sans doute parce qu'il venait de troquer le corps d'une adolescente au début de son bourgeonnement contre celui d'une adulte. Elle portait un maillot de bain très échancré qui mettait bien en valeur la plénitude de ses formes. Elle était belle.
Au niveau de sa poitrine, Louis sentait quelque chose. Il écarta le maillot et découvrit un papier plié, glissé entre ses seins. Il tira la feuille de là et lu les instructions, toujours aussi énigmatiques : « Vous intéressez les hommes, mais seulement pour une chose, et ce n'est pas toujours à votre avantage. Il faudra être beaucoup plus sexy pour avancer ». Louis jeta le papier. « Être plus sexy ? D'accord ! » se dit-il. En se déhanchant, Adèle alla jusqu’au bassin à ciel ouvert de la piscine…


Les regards l'entouraient, discrets ou appuyés, timide ou effrontés. Les hommes la désiraient et Adèle pouvait le sentir dans leur attitude, lorsqu’elle passait près d'eux. Elle n'avait même pas besoin d'en faire beaucoup pour attirer leur attention. Sa silhouette jeune et ferme parlait pour elle. Louis était gêné d'être ainsi caressé par tous ces yeux et, en même temps, il sentait tout le pouvoir que lui donnait sa beauté.
D'un simple mouvement de son corps, Adèle pouvait les enflammer. Un sourire, un regard et ils étaient à elle. Un geste de la main, un petit non, un air lassé, et elle les obligeait à refréner leurs ardeurs. Adèle était au maximum de la puissance de sa féminité.


Depuis une heure maintenant, Louis attendait qu'il se passe quelque chose. Adèle s'était baignée, elle était sortie de l'eau en basculant la tête en arrière, cambrée, tendant sa poitrine parcourue par les filets liquides. Elle avait marché le long du bassin, balançant les courbes de son corps. Elle s'était étendue nonchalamment sur le flanc, appuyée sur un coude, ses doigts jouant avec ses cheveux.
À en faire autant, elle s'était vite retrouvée très entourée, mais elles éconduisaient les dragueurs d'un hypocrite « j’attends mon copain » ! Cependant, rien de tout cela ne faisait vraiment les affaires de Louis. Il avait beau être le plus sexy possible, il ne voyait pour l’instant aucun indice lui indiquant où se diriger pour la suite du rallye.
– Adèle ! Adèle ! Ohé, on est là !
Deux jolies jeunes femmes en maillot accoururent vers elle et lui firent la bise.
– Excuse-nous, on est en retard !


À nouveau, Louis devait deviner dans quelle vie on l'avait projeté. Heureusement, en retournant dans les vestiaires, la jeune femme trouva de nouvelles affaires dans le casier où s’était trouvé son BodySuit. Quelqu'un avait dû les déposer là pendant qu'elle était au bord du bassin.
Il y avait là une robe légère, des ballerines, des sous-vêtements, quelques bijoux, une serviette-éponge et, surtout, un sac à main. Louis fouilla dedans pendant que ses amies se changeaient. Une facture d’électricité qu’Adèle venait de recevoir lui apprit qu'elle occupait un petit studio, dans le centre-ville. Il y avait aussi, au fond du sac, un petit calepin où étaient notés tous ses mots de passe, notamment celui de son téléphone ! En regardant son répertoire, Louis vit qu’il contenait une interminable liste de noms. Visiblement, Adèle avait une vie sociale bien remplie. Grâce à son agenda, il apprit que, dans quelques jours, la jeune femme avait rendez-vous pour un entretien d'embauche.


L'homme avait à peine parcouru son CV et, sans dire un mot, il s'était mis à la regarder. Adèle portait un tailleur serré à mini-jupe, avec un large décolleté. Les yeux du recruteur s'attardèrent sur ses seins, compressés dans un wonderbra, puis ils passèrent le long de ses jambes et revinrent finalement sur ses hanches. Adèle avait l'impression d'être une pièce de viande à l'étalage ! Enfin, l'homme remonta son regard jusqu'à son visage. Elle se força à sourire. Il prit un stylo et griffonna une marque hâtive sur le CV.
– C'est bien, vous m'avez l'air d'avoir toutes les compétences requises pour ce travail.


Elle avait rencontré ce garçon dans une soirée. C’était un inconnu qu'elle ne reverrait sans doute jamais. Il était plutôt beau gosse et cela faisait deux heures qu'il était collé à elle et la draguait. Adèle avait un peu bu, l'alcool alanguissait son corps et lui donnait des envies de femme.
Elle se laissa emmener dans une chambre. L’homme la déshabilla et elle se retrouva allongée sur le lit, couverte par le mâle en train de lui faire l'amour. Elle s'abandonna, fermant les yeux. Ses doigts s'accrochèrent aux draps quand l’orgasme la traversa presque par surprise et, juste après, le plaisir recommença très lentement à monter en elle. Son amant semblait infatigable.
Quand Adèle ouvrit à nouveau les yeux, elle vit que le garçon tenait son téléphone portable à la main. Elle se redressa, soudain affolée.
– Tu… Tu as fait une photo !
L’homme ricana comme si elle venait de proférer une absurdité.
– Mais non, voyons, qu'est-ce que tu vas imaginer ! J'avais juste oublié de le couper. Je ne voulais pas qu'on nous dérange…


– Adèle, il y a une fille que je connais, qui t'a vu l'autre soir, et qui… Enfin, elle m'a parlé de ça…
Son amie lui montra les images : Adèle, nue, possédée par un sexe d’homme, les traits déformés par le plaisir ! Son amant d'un soir n'avait pas fait qu'une seule photo ! Visiblement, il avait profité de chaque relâchement d’Adèle pour sortir son téléphone… Ensuite, le garçon avait tout posté sur internet, accompagnant chaque image de commentaires goguenards. Louis se trouvait vraiment trop con, de s'être laissé berner si facilement ! Il regarda son corps de femme, sur l'écran. Adèle était brandie comme un trophée par le chasseur, exhibée pour le déshonneur de la fille.
– Franchement, Adèle, reprit son amie d'un ton pincé, je ne comprends pas comment tu as pu te mettre dans cette situation ! Ça ne te ressemble pas…


– Tiens-toi donc tranquille.
Son patron maintenait sa nuque et la niquait par derrière. Il l'avait fait venir dans son bureau pour lui dicter une lettre. C'était toujours ce qu'il disait, quand il avait envie de tirer un coup. Il lui dictait beaucoup de lettre, depuis que les photos d’Adèle diffusées sur internet s'étaient mises à circuler dans l'entreprise. Une fois seuls, il relevait sa jupe, baissait sa culotte et il l'enfilait à grands coups, debout contre le bureau. Adèle se mordait les lèvres pour ne pas gémir. Son patron n'aimait pas que les filles fassent du bruit.


Sur le bureau, un dossier était ouvert. L’œil d’Adèle fut attiré par un carton rose, glissé entre deux feuilles, sur lequel était dessinée une petite clé bleue ! Elle approcha sa main pour le prendre mais sa collègue referma le dossier d’un geste vif.
– Eh, bien ? Tu te crois où ?
Cette fille la détestait ! Il faut dire que Louis, qui n'avait aucun goût pour le secrétariat, profitait largement de son statut de favorite du patron pour en faire le moins possible. Depuis qu’Adèle était le vide-sperme préféré du chef, sa collègue se retrouvait presque seule à faire tout le travail.
– Je voulais seulement jeter un œil…
– Le boulot t'intéresse maintenant ? Désolée, ce genre d'affaire c'est pour les grandes personnes, pas pour les putes !
Surprise par l’insulte, Adèle ne trouva rien à répondre. Une stagiaire qui n’était là que depuis quelques jours étouffa un rire derrière son bureau.
– Tient, Josie, va donner ça au boss ! dit la collègue d’Adèle en tendant le dossier à la stagiaire. Je demanderais bien à Adèle, mais elle s'est déjà fait tringler aujourd'hui et je ne pense pas qu'elle ait besoin de remettre les pieds là-bas dans l'immédiat…
Josie pouffa à nouveau. Adèle vit le dossier disparaître.


Adèle se remit à faire sa part du travail et, au bout de quelques jours – encore quelques jours de perdus – les relations avec sa collègue devinrent un peu moins glaciales. Un midi, leur patron sortit déjeuner, en laissant aux deux femmes une tâche urgente à terminer. Adèle proposa de s'en occuper et sa collègue accepta, partant manger à son tour. Adèle était enfin seule.
Elle attendit quelques minutes et se glissa dans le bureau vide du patron. Elle fouilla tous les tiroirs et mit finalement la main sur le fameux dossier. Heureusement, le petit carton avec le dessin de la clé bleue était toujours à l’intérieur !
Elle retourna le carton et découvrit, surprise, qu’il s’agissait seulement de la carte de visite d'une clinique de chirurgie esthétique.


Le regard du docteur était comme une insulte jetée sur elle. Entouré d’une odeur de tabac froid, l'homme était gras et il respirait bruyamment. Ses cheveux mal peignés donnaient à son visage un air de désordre, tandis que sa lippe se tordait dans des sourires chargés de sous-entendu quand il parlait d'elle. Il avait des façons de maquignon évaluant la bête de concours.
– Ça manque de poitrine, et puis, franchement, la bouche, c'est trop plat. Je vois aussi ce qu'on peut faire avec la mâchoire et le nez… Tournez-vous.
Adèle se mit de dos. Elle sursauta légèrement quand les mains de l'homme se posèrent sur ses hanches. Un frisson de dégoût remonta jusqu'à sa nuque.
– Les fesses aussi, ça peut s'améliorer. Bon, la taille, ça va, mais il y a un peu de graisse qu'il faudra faire partir.
Le docteur retourna s’asseoir derrière son bureau.
– Vous pouvez vous rhabiller. Si vous le souhaitez, je peux vous prendre dans deux mois.
– Quoi ? On ne peut pas faire ça plus tôt ? Demanda Adèle d'une voix mielleuse. En elle-même, elle enrageait de devoir faire des politesses à cet homme qui comptait la transformer en vulgaire bimbo ! Mais les instructions étaient claires : « il faudra être beaucoup plus sexy pour avancer ». Adèle devait terminer ce rallye, le temps commençait à presser !
– Impatiente, hein ? Vous êtes toutes pareilles ! Que diriez-vous d’en discuter ce soir, chez moi, autour d'une bonne bouteille. On verra ce qu'on peut faire pour accélérer un peu les choses.
L'idée que cet homme pose à nouveau les mains sur elle lui donnait des nausées, mais Adèle croisa les jambes, posa une main légère sur sa cuisse et pencha la tête avec une expression ravie.
– Bien entendu, docteur, avec plaisir…




Troisième manche


Louis revint à lui sur la table d'opération. Son corps était entièrement nu. Il était seul dans la pièce et il ne savait pas combien de temps s'était écoulé depuis que le chirurgien l'avait endormi. À côté d'une glace se trouvait une table roulante. Dessus il y avait un coffret et une petite clé bleue. Louis se leva et déverrouilla le coffret. Cette fois, pas de BodySuit à l'intérieur, juste une feuille de papier accompagnant une sorte de grosse boite scellée, comme une tirelire énorme, pourvue d'une fente et d'un compteur affichant 0.
Sur le papier était écrit : « L'opération s'est bien passée et vous voilà équipée. Jouez de vos charmes pour accumuler de l'argent. Lorsque le compteur marquera 15 000, vous pourrez peut-être terminer l'aventure. Mais attention à la concurrence ! »
Dessous, il y avait inscrit l'adresse d'un club de strip-tease.
Louis se regarda dans la glace, sans arriver à déterminer si on lui avait enfilé un nouveau BodySuit durant son sommeil, ou si on avait réellement opéré son corps de femme. C'était toujours elle, Adèle, mais déformée. Les seins étaient devenus grotesques, les lèvres étaient gonflées, les pommettes avaient été retaillées, le nez raboté, son menton avait été un peu raccourci et ses yeux semblaient plus grands. En termes de chirurgie esthétique, le résultat était sans doute impeccable, mais Louis détestait cette image. Adèle n'était plus une femme, c’était juste un vulgaire appel au sexe !


– Tu sais danser ?
– Ben…
– Bah, de toute façon, les clients d'ici, ce n'est pas pour ça qu'ils payent leur entrée ! Ils veulent tes nichons et ta chatte qui gigotent en gros plan sous leur nez ! Tu vois, ils s'en foutent pas mal, de tes talents artistiques !
Adèle venait d'être embauchée comme strip-teaseuse.


Elle n'était qu'un fantasme humain bougeant sur scène. Elle agitait son corps aux charmes excessifs, ce corps qui disait à tout le monde « vous avez vu, je suis une pouffiasse » ! Elle plongeait ses mains dans ses gros seins siliconés, elle ouvrait sa grosse bouche botoxée, elle plissait son nez refait, elle écartait les jambes et se frottait devant tout le monde, en jouant la comédie de la salope. Elle n'aimait pas qu'ils la regardent. Elle n'aimait pas quand elle croisait leurs yeux. Elle avait l'impression qu'ils essayaient de l'aspirer. Ils venaient ici seulement pour déverser sur elle les frustrations et les échecs de leur vie, et Adèle devait sourire. Quand ils repartaient, ils étaient redevenus propres et Adèle se sentait sale. Ils en avaient eu pour leur argent.


Louis avait vite compris qu'exhiber sa viande de femme ne suffirait pas. Presque tout l'argent gagné était pourtant glissé dans la boîte, faisant augmenter le compteur d'autant, mais Louis était encore loin des 15 000, et le temps passait. Les autres concurrents du rallye risquaient de terminer la course avant lui.
Tout en continuant à travailler au club, Louis commença à donner son numéro de téléphone à des hommes qui envisageaient d'autres genres de services. Adèle allait faire la pute.


Tous les soirs, quand elle avait fini de danser, elle laissait des sexes d'inconnus entrer dans son corps. Elle n'était qu'un espace vide qu'on peut louer pour le plaisir. Quand les hommes se soulageaient dans sa chair, elle avait l'impression de ne plus exister.


Tout avait commencé par une broutille, un sourire au mauvais moment. Le client s'était mis en colère. À croire qu’il n’attendait que ça ! Il l'avait giflé, puis lui avait donné des coups de poing. Le visage en sang, terrorisée, elle avait pu se réfugier sous le lit. Il avait hurlé quelques minutes en matraquant le sommier de coups de pied, puis il était finalement parti.
Secouée de pleurs nerveux, Adèle avait couru jusqu'à la salle de bain. Elle avait nettoyé tout ce sang qui dégoulinait, convaincue que la brute l'avait défigurée. Heureusement elle n'avait que de légères entailles, dont l'une, au cuir chevelu, avait saigné abondamment. Ce n'était pas très grave. Elle pourrait continuer à intéresser les hommes.


C'était des copines du temps où Adèle était secrétaire. Du temps où elle était encore quelqu'un. Elle les croisa dans la rue, un soir, en sortant du club de strip-tease. Elles s'approchèrent, contentes de la revoir, voulant de ses nouvelles. Durant la discussion, leur attitude changea petit à petit. Elles virent les vêtements d’Adèle, son corps taillé à la chirurgie, le club d'où elle sortait… Adèle essayait de faire bonne figure, de ne pas trop avoir l'air de la pute qu'elle était devenue, mais c'était inutile, elles avaient compris.


Le chiffre s'affichait enfin, Louis avait réussi ! Il attendit, mais rien ne se passa. La boite restait obstinément fermée. Il reprit finalement le papier avec les instructions. « Lorsque le compteur marquera 15 000, vous pourrez peut-être terminer l'aventure ». Les épaules de Louis s'affaissèrent. Bien entendu, atteindre la somme n'était qu'une étape. Une autre épreuve allait maintenant venir et la dernière phrase du papier avait de quoi l’inquiéter. « Attention à la concurrence ! »


Un éclat bleuté attira le regard d’Adèle. Un homme venait de jeter quelque chose sur la scène où elle dansait. Elle s'approcha, tout en continuant ses ondulations. Son cœur cessa de battre quand elle reconnut la clé, par terre, juste à ses pieds ! Adèle se baissa, mais la main agile d'une autre danseuse ramassa le petit objet avant elle. La fille disparut immédiatement en direction des vestiaires. Adèle se lança si précipitamment à sa poursuite qu'elle chavira sur ses talons immenses et bascula. Elle s'étala face contre terre, sans pouvoir ramener ses mains devant elle, tombant directement sur ses gros seins ! Quelques hommes se mirent à rire.


– C'est fini, Louis ! 
Bartiméo, une brunette pétillante aux formes avantageuses, attendait Louis à la sortie du club. Il le fit monter dans une voiture et l’emmena dans un hôtel particulier ou se trouvait réunis les neuf autres participants au rallye, tous débarrassés de leur BodySuit. Louis, toujours dans le corps d’Adèle, se demandait qui, parmi eux, lui avait volé la dernière clé. Il les regarda dans les yeux, les uns après les autres, mais leurs expressions restèrent insondables.
– Ce jeu était le jeu ultime ! dit Bartiméo d'une voix forte, s’adressant à toute l’assemblée. Une expérience faite pour vous marquer. Pour vous qui avez tout, et qui avez tout expérimenté, il n'y avait qu'une sorte de nouveauté capable de vous procurer des émotions : le véritable danger. Chaque concurrent du rallye a mis en jeu plus que sa vie : il a joué son existence entière. Vous saviez tous en commençant qu'il n'y aurait à la fin que neuf clés pour vous libérer de vos BodySuits. Les huit premiers à finir en ont reçu une. Les deux derniers ont dû s'affronter pour emporter celle qui restait en jeu.
Bartiméo se tourna vers Louis, qui rageait intérieurement devant cette mise en scène ridicule.
– C'est toi qui as perdu !
Les participants avaient payé une véritable fortune pour que Bartiméo mette ce rallye en place, et ils n'avaient pas été volés. Toutes les sensations promises avaient bien été au rendez-vous. À commencer par ce délicieux frisson qui les avait parcourus à l'idée que l'un d'eux allait perdre. Et aucun n'ignorait, au moment du départ, ce que perdre signifiait…
– Tu resteras prisonnier de ce corps jusqu'à la fin de ta vie, Louis. Ton existence d'avant ne te sera jamais rendue. Oublie ta place, oublie tes parents, oublie ta famille et tes proches, oublie tous tes amis. À partir de maintenant, tu n’es plus rien pour eux. Tu ne seras plus qu’Adèle et ce qui t’arrivera désormais ne regarde aucun d’entre nous.
« Oh si, pensa Louis, ça va les regarder ! » Il songeait déjà à ce qu'il allait faire pour échapper à ce sort pitoyable. Il irait voir ses parents, qui ignoraient tout du rallye et de l'existence des BodySuits, et il leur expliquerait. Au début, bien entendu, ils ne le croiraient pas, mais Louis pouvait leur raconter tant de choses, tous ces petits détails intimes que seul leur fils pouvait connaître. Ses parents finiraient bien par être convaincus et, quand Louis aurait récupéré sa place auprès des siens, il trouverait alors le moyen de forcer Bartiméo à lui rendre son corps.
– Nous y avons songé ! dit tranquillement Bartiméo.
– Quoi ? Louis, perdu dans ses pensées, redressa la tête.
– Je devine ce que tu es en train de te dire. Le plan que tu échafaudes, nous y avons songé, et tu ferais mieux de ne pas le tenter… Il faut que tu saches que tu prends la place d'une authentique strip-teaseuse. Adèle existe réellement ! Elle a une vie, un passé, il y a des gens qui l'ont connue et côtoyée, et elle a des parents elle aussi. Pendant le rallye, nous t'avons plus ou moins mis dans les pas de cette véritable Adèle. La plupart des choses que tu as faites lui sont arrivées et toutes les personnes que nous t'avons fait rencontrer sont des copies fidèles des gens qui ont réellement peuplé la vie de cette jeune femme. Cette Adèle a maintenant définitivement disparu, puisque tu as pris sa place. Elle a gagné son coin de soleil. Nous lui avons donné un nouveau corps et une nouvelle vie, et assez d'argent pour ne plus avoir à s'en faire jusqu'à la fin de ses jours.
« Ils ont… Ils ont donné mon corps à cette traînée ! » pensa Louis.
– Non ! dit Bartiméo.
Louis détestait cette manie de répondre aux questions qu'il n'avait même pas formulées. À croire que Bartiméo pouvait…
– Et je ne lis pas dans ton esprit. C'est juste que ton raisonnement est d'une si affligeante banalité qu’il n'est pas bien difficile d'anticiper tes pensées. Non, Adèle n'a pas pris ta place. Elle a reçu un BodySuit qui lui convenait et personne ne pourra jamais la reconnaître sous cette nouvelle apparence. Louis, quant à lui, n'est remplacé par personne. Tu m'as bien suivi ? Plus de Louis, juste Adèle, c’est-à-dire toi. Si tu vas voir les parents de Louis, que crois-tu qu'il se passera ?
Louis commençait à comprendre. Il lâcha d'une voix éteinte :
– Ils… Ils vont chercher à savoir qui je suis…
– Exactement ! La première chose qu'ils feront, c'est se renseigner sur cette Adèle qui vient à eux, et ils trouveront une strip-teaseuse et une putain ! Toutes les personnes qui ont fréquenté la jeune femme pourront raconter de bonne foi comment Adèle, cette petite fille sage qui promettait tellement, a finalement si mal tourné. Et nous, de notre côté, nous y mettrons notre grain de sel, nous falsifierons quelques faits au besoin, nous mêlerons si bien le vrai au faux que la culpabilité d’Adèle paraîtra bien vite irréfutable.
Bartiméo laissa traîner le silence durant quelques secondes, le temps que Louis se représente la situation, puis il reprit :
– Pour tout le monde, il sera clair que tu n'es qu'une arnaqueuse tentant de profiter de la famille du disparu. Et plus tu te montreras précise sur Louis, plus ses parents vont se demander comment tu connais de pareils détails sur leur fils. Logiquement, ils vont finir par penser que tu les as appris de la bouche de Louis lui-même. Et cela va leur sembler affreusement suspect…
Louis avait l'impression d'être écrasé.
– On va… m'accuser… 
– C'est naturel ! Quand une personne aussi louche que toi en sait autant sur un événement aussi mystérieux, les rapprochements se font vite ! La police ne mettra pas longtemps à s'intéresser à ton cas et tu auras vraiment de la chance si tu parviens à te sortir indemne d'une telle affaire. Tu vois, aller voir les parents de Louis ne ferait que t'attirer des ennuis.
Louis avait les épaules ramassées et respirait bruyamment. Ses yeux brûlaient de rage. Non seulement ils lui avaient volé sa vie, mais ils l'avaient enfermé dans la vie d'une fille que personne n’allait jamais croire ! Il était au fond du piège… Mais qu'est-ce qui lui était donc passé par la tête, le jour où il avait décidé de participer à ce fichu rallye ? Louis se redressa. Tous ses amis le fixaient, impassibles. Aucun n’allait lever le petit doigt pour lui. Parce que ça les amusait ! Parce que ça rompait la sale petite monotonie de leurs existences ! Louis, parcouru d'envies meurtrières, restait obstinément figé devant eux. Bartiméo fit un petit geste et deux hommes à la carrure impressionnante vinrent se placer de part et d'autre de la jeune femme.
– Ces messieurs vont te raccompagner. Pour ton propre bien, n'oublie pas que Louis a cessé d'exister aujourd'hui et qu'il est vain d'essayer de modifier ton destin : désormais, tu es pour toujours Adèle. Nous t’indiquerons l’adresse de la véritable scène de strip-tease où elle se produit, tu auras les clés de son véritable appartement, tu auras tout ce qui est à elle, parce que tu entres dès à présent dans sa véritable vie.
Adèle baissa la tête, vaincue.



Commentaires

  1. Ça aurait été excellent si ça avait été illustré

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    Réponses
    1. Merci !
      Accessoirement, ça fait vraiment plaisir d'avoir un commentaire !
      Pour l'illustration, je sais bien mais, ici, je suis parti de l'histoire d'abord et il est très difficile de trouver des photos qui collent à une histoire déjà écrite. Généralement on part des photos et on écrit l'histoire en fonction. Après, j'avais cherché des illustrateurs, mais ils veulent tous vendre leurs dessins et, vu le boulot que me demande déjà l'écriture (boulot agréable, mais c'est tout de même des efforts), je ne me vois pas payer de l'argent en plus, tout ça pour publier gratuitement...

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