Le Docteur dans l’Imabyrinthe des rêves




Le dernier épisode du Docteur illuminait encore ses rétines quand Donovann se jeta sur son lit. Il tapotait machinalement contre le mur de petites séries de quatre coups et sa bouche faisait en boucle un bruit de tambour qui résonnait dans sa tête. Il s'imaginait Gallifrey en pleine chute. Il se voyait dans la boite bleue jetée dans les espaces, regardant, par la porte ouverte sur le vide, la planète s'engloutir dans les pièges du temps. Il se retourna et sentit sur son buste des poids se balancer. Il mit la main à sa tête et ses doigts ramenèrent devant ses yeux de longues mèches rousses. Devant lui, le Docteur se déchainait sur les commandes du grand pupitre, avec son sourire facétieux qui lui donnait des airs d'enfant. Donovann était Donna, la compagne du Docteur, et tout était encore possible.
Dans un retour en arrière dont seuls les rêves et les seigneurs du temps ont le secret, ils se retrouvèrent dans les couloirs du grand château, courant derrière le Maitre qui emportait l'artefact. C'était étrange, pour Donovann, d'être enfin Donna, c'était comme si elle avait en elle toutes les pirouettes qui lui avaient manqué. Son corps vif envoyait en bondissement ses rondeurs pleines, spontanées et tellement naturelles, de sorte que cela devenait une manière de se couler dans cette féminité qui se refermait comme une combinaison. C'était délicieux et vraiment rassurant. Et sa voix, qui partait dans des rires aux éclats luisants, elle était si soyeuse et rendait Donna si forte ! Elle n'avait plus peur des regards et des moqueries, elle était « elle » et tout devenait insouciant.
Ils arrivèrent dans une vaste salle pleine de savants paralysés. Une jeune fille perdait son sang, allongée sur les grandes plaques de marbre, et son père pleurait sur son corps. Donna n'était pas triste, il y avait une infinie douceur dans ce chagrin et, de toute façon, elle avait décidé que la jeune fille finirait par vivre. Le Maitre fixa l'artefact sur la grande machine dont les cercles métalliques se mirent à basculer sur eux-mêmes. L'artefact avait la mine dérisoire d'une vieille lunette de marine, dont l'extrémité était fermée par un petit miroir tourné vers l'intérieur, de sorte que quiconque mettait son œil dedans voyait celui-ci se refléter. Mais c'était en fait un amplificateur puissant qui ouvrait sur les profondeurs des êtres et écartait leur image d'eux-mêmes. La machine aux mâchoires de fer était là pour jeter cette image partout sur la terre, et c'est ce que le Maitre comptait faire.
L'œil sinistrement malicieux du dictateur se posa sur le petit cercle de cuivre et les êtres humains, un peu partout, commencèrent à devenir flous et tremblants. Et on voyait se dessiner la figure du Maitre derrière leurs traits affolés ! Le Docteur et Donna passèrent la barrière folle des cercles lancés à pleine vitesse et Donna s'apprêtait à se jeter sur le Maitre pour l’éjecter loin de la lunette, mais une main sur son épaule l'arrêta.
– C'est trop tard, lui dit le docteur. Il n'y a plus qu'une chose à faire.
D'un geste rapide il poussa Donna deux pas en avant et fit simplement pivoter la lunette. L'œil de Donna apparut devant elle et elle se mit à rire de la trouvaille du Docteur. Et, pendant que le Maitre hurlait de dépit, l'humanité entière prenait lentement l'apparence de Donna.
Par une glissade dont même les seigneurs du temps sont incapables, mais dont les rêves gardent le secret, Donna marchait dans la rue, plusieurs mois après. Le monde était encore Donna et le docteur était parti dans les univers à la recherche d'un remède. Donna profitait de la nuit aux reflets de lait, dans l'air baigné d’odeurs d'automne. C'était de ces soirs où la solitude est un vague à l'âme et où le spleen appelle les rencontres. Donna croisa Donna. Toutes les Donna se ressemblaient, même si les copies reconnaissaient toujours la Donna du Docteur. Pourtant, cette Donna-là, ce soir-là, avait quelque chose de plus. Comme une lumière de gentillesse dans les yeux, un sourire plus chaud et peut-être plus coquin. Un rire aussi, comme une invitation. Cela rappelait à Donna pourquoi il y a longtemps, si longtemps, loin du véritable monde des rêves, perdu dans la réalité de son corps d'homme, Donovann trouvait Donna si irrésistible. Les lèvres se frôlèrent, puis la passion força les corps l'un contre l'autre. Elles se retrouvèrent dans une chambre qui ressemblait beaucoup à celle de Donovann, dans le lit contre le mur. Les deux femmes, parfaites comme des jumelles, s'aimèrent du plus bel amour, celui de deux êtres aux désirs identiques. Et chacune savait les gestes de l’autre, chacune entendait ses caresses avant même d’avoir besoin d'en appeler le mouvement. C'était un dialogue où les mots s'enchainait en passant d'une bouche à l’autre, c'était comme une musique où deux voix s'emmêlaient, dans un si parfait équilibre qu'elles n'auraient jamais, jamais besoin de partition. Les deux femmes face à face, en pur reflet passionnel, se refermèrent l'une sur l'autre et leur cœur intime s’embrasa dans l’extase échangée, donnée aussitôt que prise, tandis que leurs mains serrées étaient parcourues de petites convulsions nerveuses. De leur bouche s'échappa le long gémissement des plaisirs accomplit. Elles se suspendirent dans les secondes immenses d'une jouissance absolue, puis tout retomba dans le calme des corps. Cela dura un temps si long que même les rêves en ont perdu le compte.
Mais les rêves ont toujours une fin – même ceux traversés par la flamboyance du seigneur du temps – et Donovann, assoupi, revint lentement de son voyage en sommeil. Il ouvrit les yeux. C'était sa chambre, sans magie, sans Docteur. Mais une petite lueur attira son regard. Sur le meuble, un objet métallique reflétait des larmes de lumière. Là où rien n'aurait dû se trouver, il y avait maintenant une étrange lunette de marine. Intrigué, Donovann poussa les draps et sa poitrine bascula sur son torse. Le corps de Donna était sous ses yeux ! Ce corps, c’était lui, il était « elle », il se mit à rire et sa bouche se gonfla du rire lumineux et définitif de la femme qu'il était devenu.
Dans la chambre, une boite bleue commença à apparaître, accompagnée d'un bruit rouillé, insistant comme un ressac. Le docteur ouvrit la porte, et regarda Donna avec son sourire facétieux qui lui donnait des airs d'enfant.
– Tu es prête ? Allons-y !



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