Le comble du mépris



Alex était dans le corps d'Aurélie…
Il était tôt le matin et Aurélie allait à son travail. Elle était vendeuse à temps partiel. En fait, ce n'était pas vraiment un temps partiel. Sa patronne lui demandait souvent de faire des heures supplémentaires mais elles étaient rarement payées. Aurélie acceptait sans broncher, de peur de perdre son emploi.
Ce matin, Aurélie était fatiguée. Elle était fatiguée parce que son compagnon avait invité du monde pour faire la fête hier soir, comme tous les soirs. Il avait fait la fête parce qu'il était au chômage et qu'il n'avait pas à se lever le matin, et que c'est Aurélie qui payait les bouteilles, et qu'il s'en fichait un peu, en fait, qu’elle n'arrive pas à fermer l’œil. Il s’en fichait parce qu’il squattait tranquillement son appartement, qu’il la tringlait quand ça lui chantait et qu’il lui filait des roustes quand elle disait un mot de travers. Et Aurélie le supportait, sans même penser à se plaindre. Elle le supportait parce qu'elle était amoureuse de ce type et qu'elle ne pouvait pas vivre sans lui. Elle avait ce salaud dans la peau et, c’est comme ça, elle n'y pouvait rien. Elle n’y pouvait rien, c’est vrai et, quand elle songeait à ce qu'était sa vie, Aurélie se méprisait totalement. En fait, elle était l'être qu'elle méprisait le plus au monde.
Cela datait de l'époque où Alex n'était pas encore Aurélie. Bien avant qu'il se retrouve prisonnier de ce corps.
Alex avait toujours méprisé les personnes comme Aurélie, celles qui avait abandonné, les victimes désignées, celles qui se laissaient faire. Il trouvait cela encore plus pitoyable quand il s’agissait de femmes. Des épaves trop grosses, trop laides, ridicules à force de misères, mais qui s'accrochaient tout de même, on ne savait pas trop pourquoi. Alex ne comprenait vraiment pas comment de tels déchets humains pouvaient s'obstiner, comment ils n’explosaient pas de honte, littéralement ! Lui, bien sûr, il savait qu’il était au-dessus de ça. Malgré son âge plutôt jeune, il avait déjà un bon métier et il touchait un salaire confortable. Et ça, ce n’était pas pour rien, c’était parce que, lui, il avait le respect de lui-même ! Souvent, Alex se posait la question, quand il croisait une de ces femmes : comment font-elles ? Mais comment font-elles ?
Un jour, il eut la curiosité d'en aborder une. Elle s'appelait Aurélie. Elle se montra d’abord un peu méfiante mais Alex, séducteur, la convainquit rapidement de prendre un café avec lui. Aurélie, c’était le genre de fille qui passe sa vie à quémander un peu de gentillesse alors, pour Alex, c’était facile d’en faire ce qu’il voulait. Il lui fit raconter son histoire. Il cherchait à savoir s'il y avait quelque chose dans cette existence, une qualité cachée, un espoir enfoui, quelque chose qui viendrait contrebalancer la collection d'échecs qui se lisait sur ce visage sans grâce. Mais non ! Rien ! Cette fille n'était en somme qu'une nullité complète sans aucun atout.
Écœuré de se trouver si proche d'un être si répugnant, Alex mit fin à l'entretien et s’apprêta à partir. Aurélie lui tendit la main et Alex, surpris par ce geste, surmonta son dégoût et la serra mollement. À ce moment-là, une chose étrange se produisit. Comme si, grâce à ce contact, une connexion venait de s'établir entre l'esprit d'Alex et celui d'Aurélie. Immédiatement, les deux âmes se confrontèrent et l'esprit d'Alex étant le plus fort, de loin, il pulvérisa celui d'Aurélie qui disparut sans même se rendre compte de ce qui c'était passé. Ne resta plus qu’Alex, seul. Un esprit pour deux corps. Il se dédoubla. Une des deux parties jumelles retourna dans le corps d'Alex et l'autre échoua dans celui d'Aurélie. Alex était devenu double ! La connexion se rompit et les deux Alex se regardèrent, surpris. Alex-Aurélie se regarda avec répugnance.
Quelle grosse vache ! Tu as vu ces loches de ruminante ? Qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire de ce corps ? Et j'ai encore tous les souvenirs de cette conne dans la tête… Et tous ses goûts aussi ! Ah ! C'est immonde ! Il va falloir que je me coltine la vie de cette merdeuse !
Alex-Aurélie se tourna vers Alex-homme.
Hé, tu m'aideras dis ? Tu ne vas pas m'abandonner comme ça, n'est-ce pas ?
Alex-homme évitait de croiser les yeux de la femme en face de lui.
Je ne peux pas t'aider, tu es comme elle. Je ne pourrais pas te supporter…
Il s'écarta, jeta un regard dédaigneux vers Alex-Aurélie, puis ajouta :
Franchement, je te méprise déjà !
Il partit sans se retourner. Alex-Aurélie comprenait la réaction de son alter ego. Ils étaient pareils, et l'esprit enfermé dans le corps d'Aurélie se méprisait tellement lui-même !




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