Feintes et défunt

 

Ils avaient presque grandi ensemble. Le fils de la bonniche et la nièce désargentée. Le fils de la bonniche n'était rien, mais la nièce désargentée aurait tout, lorsque l'oncle richissime finirait par mourir. Marc n'avait pas tiré le bon numéro. Il n'était que le fils de la bonniche. Il détestait la nièce, si futile et qui prenait tout tellement à la légère. Elle s'était retrouvée enceinte, sans vraiment connaître le père et ça ne la dérangeait même pas. Marc, lui, n'avait rien de futile. Il était prêt à tout pour arracher une place dans la vie. Et, puisque c'était le mauvais sang qui coulait dans ses veines, il était même prêt à en changer.

Le vieux rituel fonctionna. Jusqu'à la dernière seconde, Marc avait craint de s'être laissé berné par la gitane qui le lui avait appris. Mais l'échange se déroula comme prévu. Marc se retrouva dans le corps de la nièce et la nièce fut projetée dans son corps d'homme. Être une femme, surtout celle-là, n'avait rien d'une sinécure. Marc devait traîner son gros ventre et il allait devoir accoucher. En plus, Marc savait bien à quel point tout le monde méprisait cette fille, mais il s'en fichait. Quand il aurait l'argent, il pourrait tous les regarder de haut. Et puis, ce qui le consolait de tout, c'était de voir l'air affolé de la nièce, perdue dans son corps d'homme. Elle savait que c'était Marc le coupable, mais elle ne pouvait rien faire, juste subir ! Elle n'était plus que le pauvre fils de la bonniche auquel personne n'a jamais fait attention.

C'était la lecture du testament. L'oncle avait enfin décidé de mourir. Sa maigre famille était rassemblée devant le notaire, qui égrainait les mots d'une voix impassible. La nièce désargentée arborait son ventre trop mûr, au tout premier rang. Le fils de la bonniche était là, lui aussi, au fond, comme toujours. Il promenait sur la pièce des yeux perdus. 

Ce fut enfin le passage intéressant :

« Au soir de ma vie, le moment est venu de me mettre en règle avec ma conscience. J'ai reconnu la paternité de l'enfant que j'ai eu avec ma servante. Par le présent testament, je lui lègue toute ma fortune ».

 

 

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