Les organes de la grande machine encombraient la pièce :
instruments biscornus, armoires métalliques constellées de touffes
de câbles, voyants alignés sur de larges panneaux, écrans de
contrôle allumés çà et là. Gonflé d'une fierté presque
paternelle, Ludovic laissa traîner un long regard sur l'assemblage
hétéroclite. Tout était parfait ! Après des années à
travailler seul, dans le secret le plus absolu, il venait d'achever
l’œuvre de sa vie : un appareil révolutionnaire, capable de
métamorphoser le corps et l'esprit des êtres humains !
Pour
marquer l’événement, Ludovic décida de s'accorder une fantaisie.
Étonnamment, ce cérébral forcené avait toujours un peu envié les
individus plus sommaires, aux existences figées dans la bêtise.
Ludovic s'imaginait qu'un raisonnement trop puissant était un
obstacle au jaillissement des passions et, d'après lui, la
stupidité, en laissant déferler des vécus plus désordonnés et
plus violents, permettait aussi des jouissances plus intenses.
Maintenant, il disposait d'un instrument pour en avoir le cœur net.
Il allait s'offrir des vacances dans un corps étranger !
Il
commença à programmer la transformation qu'il se destinait. Mais
soudain, il arrêta d'entrer les données dans sa machine. Un sourire
traversa son visage. Après tout, pourquoi s'enfermer dans un corps
d'homme, alors que l'appareil permettait toutes les explorations ?
Ludovic avait la vision d'une élégante, marchant tranquillement
dans la rue, discrètement cernée de coups d’œil masculins. Il
voyait une femme retranchée derrière des sourires impénétrables,
contemplant avec sérénité les vains efforts d'un homme pour la
courtiser. Après tout, pourquoi ne pas profiter de cette
métamorphose pour faire une excursion de l’autre côté ? Il
trouva l'idée excellente.
Après
avoir recomposé la programmation en fonction, il entama la phase
finale de mise en route de sa machine. C'était une procédure assez
longue. L'appareil n'était après tout qu'un prototype un peu
rudimentaire. Il fallait enclencher des interrupteurs, entrer un mot
de passe, taper des lignes de commandes, modifier une série de
branchements, tourner des boutons puis retaper des commandes, régler
plusieurs niveaux à différents endroits, contrôler des temps de
chargement minutieusement calculés avant d'ouvrir des circuits et,
finalement, entrer un code pour lancer le compte à rebours.
Ludovic
alla se placer sur le plateau central, sous deux grands arceaux
disposés en croix. La machine ronronna doucement et les rayons
remodeleurs jaillirent et traversèrent son corps. Dans la grande
glace qu'il avait posée en face de lui, Ludovic se regardait devenir
progressivement une jeune fille à la silhouette désirable, en même
temps qu’il sentait son esprit gagné par la sottise. Il avait
l'impression que son intelligence ramollissait comme un morceau de
pain gorgé d'eau et c'était tellement amusant de se changer en
jeune personne futile et sans cervelle ! Bientôt, il n'aurait
plus grand-chose de commun avec celui qu'il était avant, mais il ne
s'en inquiétait pas. Quand il en aurait assez de cette vie de femme,
il lui suffirait de repasser dans la machine pour retrouver sa forme
d'origine, soigneusement conservée en mémoire, et avec elle il
récupérerait tout son savoir et sa brillante intelligence.
Avec
de grands claquements, les différentes composantes du dispositif se
coupèrent automatiquement. Les voyants s'éteignirent, les écrans
virèrent au noir, les interrupteurs reprirent leur position
d'origine et le bruit qui émanait des engins s'étouffa doucement.
La machine était complètement arrêtée. Tout se passait comme
prévu et la transformation était un succès complet !
Ludovic
poussa un cri de victoire... Juste avant de réaliser qu'il n'avait
noté nulle part la procédure de mise en route de sa superbe
invention.
Juste parfait, l'histoire et bien écrite et les images sont tellement juste bravo !
RépondreSupprimerMerci
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