Délicieux dilemme




1
Souvent, moins les femmes sont présentes, plus les hommes parlent d'elles. Mais rarement en termes très galants. Lucas, Adam et Hugo passaient la soirée ensemble. La fiancée de Lucas venait de rompre avec lui et il ressassait, cafardeux, ses regrets et son dépit.
– Avec elle, je croyais vraiment que c'était sérieux, j'imaginais m'être casé. J'avais presque fini par ne plus regarder les autres femmes…
– Alors, répliqua Adam, tu devrais la remercier d'être partie. Tu vas pouvoir recommencer la chasse ! Pense à toutes ces filles ravissantes là, dehors. Il suffit de leur glisser à l'oreille les jolis mensonges qu'elles aiment entendre. Tu verras, quand tu en auras fait passer une ou deux par ton lit, tu te sentiras mieux. Et inutile de te morfondre : celle qui t'a quitté ne te méritait pas. Elle n'était pas faite pour toi, crois-moi !
Lucas gardait un air grave.
– Ah oui ? Et toi, dis-moi Adam, quel genre de femme serait fait pour toi ?


2
– Quel genre de femme ? Voyons… Adam, se caressa le menton. Une belle fille naturellement, fraîche et apprêtée. On n'y peut rien, une fille doit être pas plaisante à regarder. La mienne, je la veux aussi affranchie et amusante. Elle fera tourner la tête des hommes mais, bien sûr, elle me réservera ses faveurs… 
Adam s’arrêta et prit un air songeur.
– Mais puisqu'on parle de femme idéale, d'une vraie femme idéale, inutile d'être pudibond. J'apprécierai aussi qu'elle ouvre les cuisses sans rechigner devant tous les hommes que je lui indiquerai…
– Comment ? Hugo se redressa. Tu comptes donner ton épouse à d'autres ?
– Qui a dit que j’allais l’épouser ? On n'épouse pas une fille pareille, voyons… Et, surtout, qui a dit que j'allais la donner ? Les hommes devront payer, oui ! Évidemment, pas question que cette petite touche à l'argent. Les femmes sont si inconséquentes, le moindre sou leur file entre les doigts ! C'est certain, j'en ferai bien meilleur usage qu'elle…
Adam s'amusait de l'air choqué de ses deux amis.
– En somme, dit Hugo, il te faut seulement une belle friponne pour te divertir et assurer ton train de vie. Tu rêves d'enfiler le costume d'un souteneur !
– « Souteneur », le vilain mot que voilà ! Soit, admettons que je n’ai rien dit à ce sujet. Mais je ne reviens pas sur le reste. Pour qu’une compagnie galante soit agréable, il faut que la géline soit délurée, superficielle à point et surtout dépourvue de toute forme de suite dans les idées, du genre de ces fixations de mariage qui encombrent si souvent les esprits féminins.
– Mais à un moment, tu ne comptes pas fonder de famille ?
– Hummm… Avoir des enfants, entretenir l'oie blanche qui va vous les pondre, mener une petite existence régulière… Franchement, non, je trouve ça complètement assommant !


3
– Et toi, Hugo ? lança Adam à son ami. Toi qui sembles tellement scandalisé par ma manière de traiter les dames, laquelle aurait tes faveurs ?
– Oh, répondit Hugo avec un sourire un peu gêné, tu sais, je n'ai rien contre les filles de petite vertu. À l'occasion, elles ont leur utilité. Mais ma préférence irait quand même vers une gentille épouse. Je te rejoins sur un point, néanmoins : j’aimerais qu’elle soit attrayante. Et puis aussi spirituelle et vive d'esprit, mais tout de même pas trop. Je suis sans doute vieux jeu, mais j’aime l’idée qu’elle m’admire et qu’elle ait besoin de moi. Vous voyez, je crois qu'une vraie femme s’accommode avec grâce de sa place naturelle. Elle trouve son bonheur dans le dévouement, dans les soins du foyer et…
– Mon Dieu, l’interrompit Adam en levant les yeux au ciel, tout cela est d'un ennui ! Et pour la gaudriole ?
– Ma foi, la fidélité d’une femme, ça compte, n’est-ce pas ? Bien sûr, pour les hommes, les choses ne sont pas tout à fait pareilles. Ils ont certains besoins et, de temps en temps, ils doivent s’extraire de la routine conjugale. Mais ça ne reste que des passades sans importance. Un homme ne fait pas sa vie là-dessus.


4
Une grande fatigue s'était emparée de Lucas. Il commençait à avoir du mal à suivre la conversation. Adam se tourna vers lui.
– Peut-être que tu vas pouvoir nous départager, Lucas. Quelle sorte de donzelle tu préfères : les honnêtes femmes comme ce bonnet de nuit d'Hugo, ou les franches catins, comme moi ?
– En tout cas, comme machos, vous vous valez l’un et l’autre et je pense que… Je… Je ne sais pas… Je ne me sens pas très bien, je crois que je vais aller me coucher, pardonnez-moi.
Lucas alla jusqu'à sa chambre et tomba dans un sommeil épais et sans rêve.
Quand il ouvrit les yeux le lendemain, il n’était plus dans son corps ! Il se leva, se regarda dans la glace et vit le reflet d’une femme qui le fixait. Il se palpa et sentit une peau toute féminine frémir sous ses mains ! Il était vraiment une femme ! Par quel prodige inexplicable ? Il l'ignorait… C’était tellement étrange, pour Lucas, ce corps pulpeux, ces rondeurs oscillantes, ce léger déhanché qui faisait spontanément chalouper sa démarche, ces sortes de minauderies qui lui venaient pour accompagner la plupart de ses gestes – et sa virilité qui avait cédé la place aux gracieux replis en arabesque d'un sexe féminin. Sans savoir pourquoi, Lucas sentait que cette métamorphose allait être irrémédiable et la nouvelle existence promise par ce nouveau corps le chagrina beaucoup, tout d’abord. Lucas devrait agir comme une femme, avec leurs contraintes, en s’imposant leurs restrictions, et cela lui semblait terriblement limité, par rapport à la tranquille liberté masculine dont il avait joui jusqu’à présent. Mais, à sa grande surprise, il découvrit en même temps comme un pétillement nouveau en lui, un plaisir évident à évoluer avec ce physique et une grande satisfaction quand ses yeux de femme regardaient son joli reflet dans la glace.


5
Plusieurs semaines avaient passé et, comme Lucas l’avait prévu, sa transformation semblait bien devoir être définitive. Il se faisant désormais appeler Laura et s’habituait peu à peu à sa nouvelle existence. Adam et Hugo avaient été assez présents au début, quand on pouvait espérer encore que Lucas retrouve son corps, et puis la jeune femme leur avait finalement dit que ce n’était plus la peine d’attendre un miracle : il fallait se résigner ! Après cela, ils avaient été encore plus présents, mais plus de la même façon. Ils se mirent à l’entourer d’attentions, à lui faire certains compliments, et ils finirent même par vouloir l’inviter, chacun pour un tête à tête. Seulement, ils s’y prirent le même jour et arrivèrent presque au même moment chez Laura, qui éclata de rire en voyant la mine déconfite de ses deux amis.
– Allons, inutile de continuer cette comédie plus longtemps. Avouez que vous me draguez, tous les deux !
Adam et Hugo se regardèrent, comme deux gamins d’école primaire craignant de se faire moquer par les autres garçons. Laura comprit que, s’ils lui auraient tous deux bien volontiers fait l’aveu de leur penchant, il leur était beaucoup plus difficile d’en parler devant un autre homme, même s’il s’agissait d’un ami. Dans le silence un peu gêné qui suivit, Adam et Hugo se contentèrent de regarder Laura qui allait et venait pour servir le café à ses deux invités. Leurs yeux suivaient soigneusement les évolutions de la jeune femme, comme si sa silhouette avait des effets hypnotiques.


6
– D’accord, Lucas, tu as gagné !
– Adam, qu’est-ce qui te prend ? Tu sais bien qu’il faut m’appeler Laura, désormais !
– Ce n’est plus possible, voilà ce qui me prend, tu m’obsèdes, je pense à toi tout le temps. Je dors à peine et je passe mes journées la tête ailleurs, parce que je ne suis pas avec toi. Je ne sais pas, c’est peut-être parce qu’on est ami depuis le collège, mais tu es la seule femme qui me comprend et…
Adam mis soudain un genou en terre devant Laura qui ne savait plus quoi faire.
– Je veux que tu m’épouses !
– Mais enfin… Adam ! Je… Et puis je croyais que le mariage, ce n’était pas ton truc ?
– Je sais, je sais bien ! Mais tant pis, voilà, tu m’auras mis le fil à la patte et je rentre dans le rang !
– C’est trop soudain ! Je… Je vais réfléchir.


7
– D’accord, Lucas, tu as gagné !
– Hugo, voyons, tu sais bien qu’il faut m’appeler Laura désormais.
– Je n’en peux plus, ton corps, tes courbes, tes gestes, ta voix… Je ne pense qu’à ça !
Hugo s’était dangereusement placé tout contre la jeune femme et ses mains s’étaient refermées sur la taille de Laura. Sa bouche s’approchait pour lui voler sa bouche, mais elle tourna vivement la tête et Hugo dévora son cou de baiser, ignorant les efforts de Laura pour se dégager.
– Arrête, mais enfin… Arrête !
– Donne-moi ton corps, laisse-toi faire, je t’offrirai ce que tu voudras…
– Hugo, cesse ou je hurle !
Hugo, un peu ramené à la raison, libéra Laura qui se réfugia à l’autre bout de la pièce.
– Avec toi, Laura, je me sens enfin un homme, tu comprends, je découvre le goût de la conquête et même la puissance des instincts ! Aimons-nous, Laura, sans penser à rien d’autre… Il faut que nous le fassions ! Tu ne peux pas me laisser comme ça !
– Je… Je te promets d’y réfléchir.


8
– En voilà assez, Laura, décide-toi une bonne fois pour toutes : lui, ou moi ?
Adam et Hugo étaient devant elle, bien décidés à crever enfin l’abcès.
– C’est si difficile, de choisir… Vous êtes mes amis tous les deux, je vous aime et je ne veux pas vous perdre. Je vous apprécie même encore plus depuis que vous êtes amoureux de moi. L’idée de me séparer de l’un de vous, vraiment…
– Pourtant, on ne va pas continuer comme ça ! Il faut trouver une solution et tant pis si ça ne fait pas plaisir à tout le monde !
– C’est certain, c’est certain… Laura laissa trainer ses mots, songeuse. Mais en fait, qu’est-ce qui empêche de faire plaisir à tout le monde ?
– Pardon ?
– Vous êtes mes amis, vous m’aimez, vous pourriez… me partager ?
Adam et Hugo restèrent quelques instants interloqués, tant ce genre d’idée les prenait au dépourvus.
– Nous deux et toi, nous… Non !
– Et pourquoi pas ? Allons, ce serait la solution idéale ! Chacun y trouverait son compte.
D’abord choqués, les deux hommes firent un effort visible pour envisager la chose. L’idée de Laura n’avait pas que du mauvais, bien sûr. Hugo regarda la jeune femme, puis il se tourna vers Adam.
– C’est vrai que… Mais d’un autre côté…
Adam acquiesça vivement.
– Voilà, c’est exactement comme moi…
Les deux hommes dirent presque en même temps :
– On va y réfléchir…




Note : cette histoire me plaisait sans me plaire, je l'ai donc réécrite. Les commentaires en-dessous ont été postés en réponse à l'ancienne version du récit. 

Commentaires

  1. Superbe histoire je ne regrette pas d'avoir attendu :)
    Bien écrite, exposant les deux points de vues malheureusement commun à beaucoup d'hommes mais j'ai beaucoup aimé :)
    Je pense qu'il choisirait sans hésiter Alexis :)
    Ou alors c'est qu'il avait vraiment besoin de se faire remplir constamment... (ce qui m'attristerait un peu quand même ^^)
    Mais encore bravo et merci Cyrille :)

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  2. Content que cette histoire te plaise mais, en fait, il ne s'agit que d'une vieille histoire que j'ai corrigée. Celle que je t'avais promise avance, mais elle n'est pas encore terminée.
    Quant à sa décision... Qui te dit qu'il prendra un de ces deux machos ? Peut-être qu'il les enverra sur les roses tous les deux et suivra sa propre route !

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    1. Ca serait le coup que finalement elle parte avec une fille ! ^^

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    2. Je confirme ! C'est une solution à laquelle je n'ai pas pensé, mais ça en jetterait un max ! :D

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