La zonarde

— Oh hé ! Madame ! Un peu de décence, quand même ! Il y a des enfants ici !

— Mais… mais ce n'est pas ma faute !

— C'est ça, tu te tripotes les nichons depuis un quart d'heure devant tout le monde par hasard, peut-être ?

— Mais non, c'est… C'est parce qu’en fait… En fait…

Ce qu'Alex ne parvenait pas à expliquer, c'est qu'en fait, il n'était pas réellement cette femme pitoyable qui se traînait au milieu de la grande salle des fêtes. Et il remontait tout le temps ses seins qui débordaient, parce que c'était la première fois qu'il devait porter des appendices sur son buste. Quelques instants avant, il était encore un homme, il était un des invités du mariage, il s'amusait. Mais cette femme à la démarche encombrée était venue se planter devant lui, et elle l'avait regardé si intensément qu'Alex, pendant un moment, avait eu l'impression de s'oublier à l’intérieur de lui-même. Quand il était revenu à lui, il s'était rendu compte qu'ils avaient échangé leurs corps. Sa figure d'homme avait sourit méchamment et lui avait dit : « C'est ton tour maintenant », et son corps était parti, en laissant Alex piégé dans la peau de cette créature.

— Je la connais, ce n'est qu'une pocharde, elle n'est même pas invitée !

Les gens se massaient autour d'Alex. La soirée était avancée, il faisait chaud, on avait bu. Mais Alex ne voulait pas partir, il voulait comprendre, il voulait qu’on lui rende son corps, qu’on lui rende sa vie. Il s’accrochait, il résistait aux gens qui essayaient de le raccompagner dehors. Il se rendit compte qu’il criait sur tous ces idiots qui ne voulaient rien entendre. Son corps de femme négligée était ramassé, sa bouche tordue par l’ivresse déversait des ordures et ses bras courts faisaient de grands moulinets désordonnés autour d’elle, comme pour essayer de les faire tous partir. Alex était cerné d'hommes en colère, poussés par leurs épouses derrière eux. Des mains l'empoignèrent. Elle perdit l'équilibre et s'étala par terre d’une masse, sous les injures…