Tout avait commencé avec cette garce dans la bouteille. Un génie,
un vrai, comme dans les histoires, mais un génie femelle sacrément
retors ! Quand Philippe avait frotté le petit récipient en
verre coloré, la donzelle aux allures de nuage en était sortie,
toute guillerette et charmante.
–
Sois heureux, mortel, car tu as droit à un vœu !
Philippe
avait alors commencé à chercher ce qui lui ferait plaisir.
– Non, non, non ! l'avait interrompue la demoiselle en agitant
l'index et en faisant tinter les petits grelots qui parsemaient son
costume. Ça ne marche pas comme ça. En réalité, j'ai un stock de
vœux que je dois écouler. C'est suite à un léger malentendu avec
un Roi-Démon, beau garçon mais rancunier comme tout. Je n'étais
pas exactement très ponctuelle et il m'a dit : “
J'attendais, ma sotte amie ” et
moi j'ai compris un peu de travers, et j'ai cru qu'il attendait
quelque chose de précis et… Bref, il n'a pas du tout apprécié ce
que j'ai essayé de lui faire au fondement ! Alors, il m'a
maudite et enfermée dans cette bouteille et je ne serai libre que
quand je me serais débarrassée de cette liste…
Elle
sortit un grand livre dont toutes les pages étaient remplies de mots
barrés. Tout à la fin, en bas de la dernière page, il ne restait
qu'une petite ligne qui n'était pas rayée. Le génie essayait d'y
mettre les formes, mais il avait du mal à cacher sa jubilation.
–
Voilà, celui-là te conviendra très bien, j'en suis certaine !
dit finalement la jolie créature magique, après avoir fait semblant
de réfléchir pour se décider. Philippe faisait la grimace, il
commençait à se dire qu'il n'était peut-être pas si chanceux que
ça d'avoir frotté cette bouteille…
Le
génie claqua des doigts et d'un coup, Philippe se retrouva changé
en femme ! Interloqué, il mit du temps à réaliser, puis ses
yeux descendirent sur son nouveau corps et il sursauta alors en
poussant un cri, avant de se tâter un peu partout pour vérifier. Il
était bien une fille ! Et ce n’était la fille bas de gamme :
Philippe était affolante comme un modèle de luxe ! Il avait
une carrosserie rutilante et un châssis d’exception, c’était la
Bugatti des poulettes et la Testarossa des greluches ! Mais bon,
c’était une fille et, pour un homme, se retrouver là-dedans, avec
ces seins et ces fesses dépassant d’un peu partout, ce n’était
quand même pas très convenable. Philippe s’apprêtait à ordonner
au génie maintenant libre de lui redonner son apparence masculine,
lorsqu’il se rendit compte que ses jambes se terminaient désormais
par de drôles de filets de brume qui avaient remplacé ses pieds.
Les filets couraient paresseusement jusqu’au goulot de la petite
bouteille.
–
Quoi ! hurla Philippe, Tu m’as transformé en génie ?
La
jolie femme haussa les épaules.
–
Moi je n’y peux rien, c’est ce qui était marqué. Si tu n’es
pas content, il faut voir ça avec le Roi-Démon, c’est lui qui est
à l’origine de tout…
–
Et comment je…
Philippe
n’eut pas le temps de terminer sa phrase. Un claquement de doigts
plus tard, ils étaient tous les deux au milieu d’une salle
immense. L’endroit était d’un luxe surréel. Un parquet verni
fait d’une multitude de bois précieux reflétait en éclats la
lueur de milliers de bougies, suspendues en l’air le long des bras
des grands lustres. Les murs lambrissés d’arabesques et d’or
évoquaient un palais baroque mais, par les grandes fenêtres où
s’emboitaient des colonnes de petits carreaux en losange, on voyait
une nuit bien trop noire, constellée d’étoiles à la lueur bien
trop statique. « Un peu comme si nous étions dans l’espace »,
pensa Philippe. L’idée d’être dans un palais baroque jeté dans
le vide de l’espace n’ayant malheureusement rien
d’invraisemblable, vu ce qui venait de lui arriver, Philippe
réprima un frisson. Finalement, il n’était plus vraiment certain
d’avoir envie de rencontrer ce genre de Roi-Démon-là. Il se
tourna vers la femme qui tenait la bouteille à laquelle il était
toujours relié, mais elle balaya ses craintes d’un sourire mutin
et d’un clin d’œil.
–
Ne t’inquiètes pas, quand il est de bonne humeur, c’est
quelqu’un de charmant !
Elle
montra d’un mouvement de menton un homme au fond de la salle, se
tenant debout à côté d’une table couverte de larges plats
regorgeant de nourriture, entre lesquels s’érigeaient des flacons
emplis de liquides à la robe précieuse. L’homme était grand,
athlétique, habillé d’un complet veston moderne à la coupe
impeccable. Il était bien fait de sa personne, mais rien dans son
apparence n’indiquait l’être d’exception. Sauf qu’un halo
indéfinissable semblait l’entourer et la gorge de Philippe se
serrait de plus en plus, sans qu’il comprenne pourquoi, à mesure
que la femme l’emmenait dans cette direction.
–
Enfin ! Tu as réussi à terminer cette liste ! Tu aurais
dû y arriver bien plus vite que ça, pauvre sotte !
En
prononçant ce dernier mot, l’homme fit une très légère grimace,
comme si cela évoquait pour lui un mauvais souvenir.
–
Franchement, une telle incompétence me met de bien mauvaise humeur…
La
petite femme ne répondit rien. Gardant un sourire joyeux que
Philippe trouvait maintenant complètement déplacé, elle posa la
bouteille au sol, se recula de quelques pas et se prosterna par
terre, les yeux baissés et les bras allongés en direction du
maitre. Philippe était un peu gêné, mais il essayait encore de
garder une contenance et ne voulait tout de même pas se mettre à
genoux comme elle ! D’ailleurs, avec les pieds reliés à la
bouteille, cela se finirait sans doute mal…
–
Et toi, en plus, tu viens te plaindre !
Cette
fois, c’est Philippe précisément qui était sous le regard du
maitre des lieux, un regard si perçant, semblant brûler
d’étincelles venues des forges d’un volcan, que Philippe songea
à se jeter tout de même au sol, par précaution. Seule la peur qui
le paralysait maintenant l’en empêcha. Il osa finalement parler et
entendit un balbutiement pitoyable s’échapper piteusement de sa
bouche.
–
Tout… Tout de même, ces vœux imposés… Moi, quand j’ai
vu appa… raitre un génie, je ne m’imaginait pas ça co… comme
ça… Et je…
Les
grelots du costume de génie de Philippe semblaient gaiement ponctuer
ses mots, à chaque tremblement peureux de son corps de jolie femme.
–
Eh bien, soit ! Oublions cette histoire de vœux imposés, dit
le grand Roi-Démon. Désormais, celui qui frotte la bouteille pourra
te demander ce qu’il lui passe par la tête ! Trois vœux,
comme dans les histoires, tu es content ?
–
Hein… que… quoi ?
La
dernière syllabe, Philippe la prononça tout seul, rangé au fond de
sa bouteille, dans le noir d’une petite crypte. Le Roi-Démon
l’avait envoyé il ne savait où, dans la salle au trésor d’un
temple enterré, sans doute. Il allait devoir attendre là qu’un
explorateur le découvre, puis il réaliserait tout ce que l’autre
voudrait, avant de passer au maitre suivant, trois vœux à la fois.
Et Philippe serait bien obligé de toujours faire ce qu’on lui dit,
en bonne génie obéissante ! La paroi de verre coloré de sa
bouteille émettant une douce lueur, Philippe regarda son reflet dans
la grande aiguière d’or posée à côté. Sa silhouette charmeuse
de jeune femme évoquait irrésistiblement des envies d’étreintes
et de draps froissés. « Je suis tellement excitante ! se
dit-il, Pas la peine de me faire d’illusions, parmi les trois vœux,
il y aura un paquet de fois où les hommes vont souhaiter coucher
avec moi ! »
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