Don Lehmann avait un faible pour les femmes bien en chair, les
donzelles enrobées qui portaient leurs formes sans complexe.
Malheureusement pour lui, Don était un docteur réputé, qui
travaillait dans une clinique de chirurgie esthétique. Il passait
ses journées à rendre les corps lisses, à raboter les rondeurs si
charmantes que ces femmes avaient en horreur, à remplacer les chairs
devenues molles par de la chimie et du plastique. Don se donnait
souvent l'impression d'être un profanateur, défigurant jour après
jours des cathédrales de grâce pour satisfaire les caprices d'une
mode vouée à la maigreur. Il n'était pas heureux.
Le
soir, il se réfugiait dans son autre passion : les romans
historiques sur le Moyen-Âge. Il rêvait de cette époque virile où
les hommes avaient au moins le gout des belles choses. Ce n'est pas
en ce temps-là qu'on aurait glorifié ces squelettes humains
déambulant comme des spectres mécaniques sur les podiums des
défilés de mode. Au moment de s'endormir, Don se voyait chevalier à
la brillante armure, pourfendant l'infidèle pour délivrer de
plantureuses princesses à l'empressante gratitude.
Au
matin, il devait abandonner ses songes et retrouver sa clinique.
Tout
cela prit fin pendant une brulante journée d'été. Les chambres
froides tombèrent toutes en panne et les graisses prélevées sur
les corps des patientes, stockées là en attendant leur destruction,
entamèrent rapidement leur travail de décomposition. Les odeurs,
putrides et puissantes, se répandirent partout dans les sous-sols de
la clinique. Don, appelé en urgence, ne put que constater les
dégâts. Il n'y avait rien à faire tant que le système n'était
pas remis en marche ! On vit à ce moment-là des buées légères
commencer à s'élever au-dessus des sacs pourtant hermétiquement
clos. « Sans doute des gaz s'échappant de la chair
pourrissante, selon le principe des feux follets » se dit Don.
Mais les brumes, au lieu de s'enflammer, s'assemblèrent en une forme
ronde, qui plana directement vers lui. Seul dans la pièce, Don n'osa
plus bouger. La forme moirée de reflets écarlates se mit alors à
vibrer au-dessus de lui et des paroles éclatèrent directement dans
sa tête.
–
Je suis l'esprit de la chair, l'âme de cette graisse que tu as
outragée, jour après jour, de tes mains et de ton bistouri.
Tremble, mortel ! Car c'est l'heure de la vengeance ! Je
vais te projeter dans un monde où tout ton savoir te sera inutile et
où tu subiras la loi des hommes… Tout ce que tu as toujours
contribué à bâtir ici sera vu avec horreur là-bas. Voilà ma
sentence ! Voilà ta malédiction !
Soudain,
Don fut cerné d'éclairs et tout se mit à tourbillonner autour de
lui. Les choses semblaient projetées dans tous les sens, les murs
s'effondraient et se relevaient, des formes se précipitaient, comme
des ombres fulgurantes. Puis Don vit le sol s'éloigner sous ses
pieds et, soudainement, il fut jeté à travers le ciel comme une
balle de fusil. Le paysage défilant sous lui se résumait maintenant
à des trainées de couleurs changeantes, tant il allait vite.
Brusquement,
tout cela s'arrêta. Don s'immobilisa en l'air une fraction de
seconde et, immédiatement après, il se mit à tomber !
Heureusement pour lui, il arriva dans l'eau d'un lac assez profond.
En remontant vers la surface, il sentit son corps parcouru
d'agitation et, quand il put enfin avaler une gorgée d'air, il
découvrit qu'il flottait sans grande difficulté. Devant lui, deux
énormes seins se soulevaient doucement sous l'effet des vaguelettes.
Don posa la main sur eux et découvrit avec stupeur que cette peau
était à lui ! Il pouvait sentir ses doigts passer dessus !
Il palpa les larges mamelles avec fascination. Sa main
descendit ensuite et rencontra un ventre rond, puis elle alla plus bas encore et aboutit à deux bandes
de peau bordant une fente entre ses amples cuisses. Une vulve !
Don était devenu une femme et, de toute évidence, il était une
épaisse Vénus, replète comme celles de ses fantasmes. Il se
caressa avec ravissement et sans même l’avoir senti venir, il eut
son premier orgasme ainsi, nue au milieu du lac.
–
Quels sont ces cris de détresse ?
Un homme bardé de fer était accouru sur la berge, monté sur un
puissant destrier. Il portait une longue lance et un blason
chamarré ornait son bouclier. Visiblement, les cris de
plaisir de Don l'avaient attiré là et, se trompant sur leur
signification, il croyait assister à la noyade d'une belle
imprudente. Il jeta son cheval à l'eau et la haute bête fendit
l'onde jusqu'à l'endroit où flottait Don. Celui-ci, comprenant
qu'il valait mieux jouer la comédie, s'agitait mollement dans l'eau
en prenant l'air effrayé. La main large le souleva comme s'il ne
pesait rien et plaça son corps sur la monture, en amazone. Ses
cuisses et ses fesses s'étalèrent sur la peau chaude et palpitante
du cheval. Don passa ses bras autour du cou de son sauveur, notant
avec plaisir qu’il parcourait des yeux avec gourmandise sa peau
laiteuse et ses formes pleines, seulement couvertes d'un voile d'eau
dégoulinante. Il devinait qu'une fois la berge rejointe, l'homme
allait soulever son corps de femme, l'étendre sur un lit d'herbes
folles et l'étreindre dans la pleine vigueur du désir. Elle était
si irrésistiblement belle ! Don soupira d'aise : un
véritable chevalier du Moyen-Âge était en train de l'enlever !
Il avait été projeté à l'époque dont il avait toujours rêvé,
dans ce corps merveilleux de femme qui allait lui donner tant de
plaisirs…
Vraiment,
pour une malédiction, c'était une bien chouette malédiction !
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