Au moment de monter sur l'estrade, Simon crut qu'il allait se trouver
mal. Le vendeur, habitué aux mouvements d’humeur de la
marchandise, tira quelques coups secs sur la chaine fixée à son cou
et Simon se sentit emporté vers l’avant. Déséquilibré juste ce
qu’il faut, ses jambes avancèrent par réflexe, pour lui éviter
la chute, et il ne retrouva sa stabilité qu’une fois au milieu du
grand espace surélevé. Un souffle imperceptible passa dans la
foule. Les regards impudiques des acheteurs s'extasiaient devant la
beauté nue et offerte de Simon. Ils en parlaient entre eux, ils se
montraient les détails, ils faisaient des commentaires, mais à voix
basse pour ne pas déranger l’assistance. Simon voyait tous ces
yeux braqués sur lui et il tournait la tête, un peu perdu, comme un
enfant envoyé au tableau qui essaye de s’enfuir par les yeux. Il
regarda l’homme qui le tenait, puis les autres filles attendant
derrière la tenture que vienne leur tour de passer à l’enchère.
C’était étrange, Simon était presque certain qu’il voyait de
la jalousie dans les yeux de la première ! Il est vrai qu’elle
n’était pas aussi belle que lui. Simon avait vraiment le plus
somptueux corps de jeune fille qui se puisse imaginer…
Simon
s'était estimé chanceux lorsque, à des siècles de là, il avait
trouvé pour presque rien ce vieil ouvrage chez un bouquiniste.
C'était un précis rarissime sur les formes de disciplines
nécessaires aux esclaves. Simon l'avait dévoré, admirant
l'iconographie somptueuse. L'illustrateur avait certes un gout
étrange pour la souffrance, mais son talent était si puissant qu'on
ne pouvait qu'être ébloui par ses compositions ! Simon s'était
ensuite penché sur les annotations couvrant le bord des pages. À
l'évidence, elles étaient écrites dans une langue bien plus
ancienne que le papier lui-même, une langue que Simon n'avait jamais
rencontrée, lui qui était pourtant féru de ce genre de choses.
Malgré cela, au fil des mots, il se rendit compte qu’il
réussissait de plus en plus facilement à la déchiffrer ! Il
parvenait à la prononcer à haute voix, sans même sentir dans sa
bouche les lourdeurs d’un accent étranger. Il n'eut pas le loisir
de s'interroger davantage sur ce prodige : au moment d’articuler
le dernier mot, les pages du livre maudit refermèrent leur piège
sur lui… Il rouvrit les yeux sur un autre continent, à une époque
lointaine, projeté dans le corps d'une captive prête à la vente !
La
main du vendeur toucha la peau nue de Simon, faisant frémir sa belle
peau de fille ! Simon essaya de se protéger mais la poigne
large et ferme du vendeur se referma sur son bras, serrant juste
assez pour être douloureuse, sans laisser de marques. Simon, un peu
gémissant, était bien obligé de se laisser faire. Les doigts
soulevèrent son sein jeune et bien ferme, joli fruit que tous les
hommes devant lui rêvaient de cueillir. Il palpa son ventre lisse,
ses hanches de jeunes filles, ses cuisses, l’intérieur de ses
cuisses… Simon n’en pouvait plus ! Il rua sur place en
laissant échapper de petits couinements ! L’homme s’approcha
alors de son oreille. « Tu sais ce que l’on fait aux petits
animaux rétifs, n’est-ce pas ? » Dans la tête de
Simon, tout se mélangeait. Non, il n’était pas un animal mais,
oui, il le savait, il avait lu ce livre et, peut-être, le vendeur
connaissait-il la magie qui l’avait projeté là ? Simon
refusait et espérait en même temps. L’homme qui le mettait en
vente pouvait-il l’aider ? « Si tu te laisses faire,
c’est mieux pour toi, tu vaudras plus cher »… Le ton
presque gentil, mêlé à la peur surgie au souvenir des images du
livre, acheva de vaincre Simon. La main devenue caressante du vendeur
passa sur sa tête et souleva le voile de sa chevelure luxuriante.
Cette fille était décidément une pièce splendide ! Simon, au
comble de la honte, jetait de petits regards vers la foule. Il avait
les mains dans son dos et se laissait voir. Il sentait leurs yeux sur
ces seins et cette vulve qui étaient sur son corps. Ses hanches trop
larges pour un homme roulaient doucement au gré des mouvements
nerveux de ses jambes.
Les
offres commencèrent, grimpèrent, encore et encore. Les voix étaient
maintenant bien fermes, jetées avec le geste, et Simon pouvait voir
que les imaginations se libéraient, mélangées à l’excitation de
l’achat. Il regarda les autres marchandises au bord de l’estrade,
ces chairs femelles qui attendait leur destin. Ces filles nues à la
vente n’étaient que des proies au milieu des fauves, et seule
l’autorité du vendeur empêchait qu’on se jette sur elles pour
se les partager. Le collier de fer à leur cou en faisait des objets
qu’on utilise ou qu’on discipline… tout comme Simon en somme !
Finalement, il ne resta que deux hommes en lice. Le premier était
vieux et gras. Ses dents manquantes et son œil torve donnaient à
Simon la chair de poule. La seule idée de ce corps contre le sien…
L'autre était plus jeune et avait meilleure mine, mais Simon sentait
une forme de perversité derrière ses gestes lents et maniérés. De
toute façon, Simon ne pouvait pas supporter qu’un homme se colle
contre sa peau de femme. C’était indécent, c’était… contre
nature ! Pourtant, il n’avait rien à dire. Il n’était
qu’une esclave et sa vie se jouait sans qu’il décide. Il devait
seulement subir, sans savoir, attendre que l’argent décide et que
le nouveau maitre ordonne. Un bon maitre, pas trop cruel, pour celles
qui ont de la chance, et pour les autres tant pis. Elles valent leur
prix et rien de plus !
La
bataille entre les deux hommes faisait rage, la somme montait.
L'obèse avait clairement l'avantage, mais le vicieux ne voulait pas
renoncer et finissait toujours par relancer. Simon n'arrivait pas à
décider lequel des deux était le moins pire. Mais ce qu'il en
pensait ne changeait rien. Je ne suis rien de plus qu'un objet,
songea-t-il à nouveau, et cette pensée enflamma cette fois en lui
une bouffée de révolte. Il devait trouver un moyen ! Tout
plutôt qu'appartenir à un homme. Ne pas appartenir à un homme…
Simon repensa au livre. Des mots revenaient dans son esprit. Il les
marmonna, fébrilement, d'une voix inaudible.
L'assistance
entière tourna la tête. Derrière la foule, une femme venait de
crier, d'une voix claire et définitive. Les deux hommes gardèrent
un instant les mâchoires serrées, puis renoncèrent. Simon venait
d'être acheté par une femme ! Elle était entre deux âges,
mais encore très belle, et vêtue de somptueuses robes aux couleurs
vives. Ses cheveux libres flottaient sur ses épaules, à peine
couverts d’un voile léger et presque transparent. La masse des
hommes se fendit devant elle quand elle s’approcha de l’estrade
pour prendre possession de Simon.
Pendant
que sa propriétaire ramenait sa nouvelle acquisition chez elle,
trainant Simon en ville avec la chaine, il essayait de se raisonner.
Il serait une bonne à tout faire, peut-être, ou une dame de
compagnie, s'il avait de la chance. De toute façon, cela valait
toujours mieux que terminer dans un harem, toujours disponible pour
le caprice de son maitre. À peine couverte d'une tunique, suivie par
les regards, les mains attachées dans le dos, la marche était
longue pour le corps de la jeune fille. Simon nota que, devant sa
maitresse, tout le monde s'écartait. Sans doute, pensa-t-il, parce
qu'elle est riche et puissante.
Il
y avait une autre raison. En public, les honnêtes gens n'aiment pas
s'afficher trop près de la maquerelle du plus grand bordel de la
ville.
Cruel ! Mais bien écrit :)
RépondreSupprimerMerci !
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