Un texte écrit pour fêter les deux milles publications sur TGARTF. Cette histoire était la deux mille et unième...
J'avais un jour fâché une divinité à la rancune inventive et, au
moment de me maudire, elle fit incontestablement preuve
d'originalité. Depuis, chaque fois que mes yeux désiraient une
femme, je me réveillais le lendemain métamorphosé en femme, et
chaque fois que sous cette apparence de femme je couchais avec un
homme, je redevenais moi-même le jour suivant.
Malheureusement,
je désirais beaucoup les femmes. J'avais beau regarder par terre en
marchant dans la rue, ne pas allumer la télé et ne plus répondre à
aucune invitation, pour sortir ou aller à une fête, il y avait
toujours un brin de fille qui finissait par entrer dans mon champ de
vision. Et le lendemain, ça ne ratait jamais : je me réveillais
dans la réplique exacte du corps qui m'avait fait fantasmer !
Bien obligé, je devais alors passer entre les bras d'un homme pour
récupérer mon apparence.
Cette
malédiction ruinait mon existence. À cause de mes métamorphoses
permanentes, j'avais perdu mon travail, je ne voyais presque plus mes
amis et j'étais obligé de fuir comme la peste toutes les femmes de
mon entourage. Jusqu'à ma propre mère, que j'évitais. J'ai
toujours été un garçon équilibré, ce n’est pas la question,
mais l'inconscient est mystérieux et, après tout, il y avait
peut-être, bien caché dans mon crâne, un reste de fantasme œdipien
venu de l'enfance… Bref, l'idée de me réveiller dans le corps de
ma mère et de devoir … Non, c'était au-dessus de mes forces. Je
ne pouvais vraiment pas prendre le risque.
À
court d'argent, j'avais dû partager mon appartement avec un
colocataire et cela compliquait encore ma vie. Je devais déployer
des trésors d'ingéniosité pour cacher mon état à tout le monde
car, si l'on découvrait mon problème, je craignais par-dessus tout
de devenir un vulgaire phénomène de foire voire, pire, un sujet
d'expérience pour des savants un peu trop curieux !
Je
me transformai ainsi 2001 fois en femme et cela dura des années !
Alors, seulement, la divinité revint à moi. À ce moment-là,
j'étais dans une rue, en jolie robe moulante, en train de draguer
pour trouver un amant afin de redevenir un homme. Elle apparut dans
une grande lumière que j'étais seule à voir.
–
Je crois que tu as été assez asticoté comme ça. Il est temps de
te libérer.
–
Vous allez me rendre mon apparence d'homme ? Définitivement ?
–
En fait, ça va être à toi de décider. Après tout, peut-être que
tu as pris goût à tes escapades dans le corps des filles. Voilà
une petite boite à musique que j'ai ensorcelée. Lorsque tu l'auras
ouverte, elle s'emparera du premier songe amoureux qui passera et
cela scellera ton destin. Si tu désires une femme, pour toujours tu
retrouveras ton corps masculin. Si, au contraire, tu désires un
homme, alors la malédiction sera scellée, tu perdras définitivement
la possibilité de redevenir un homme, même provisoirement, et tu
changeras chaque jour de corps de femme, au gré de tes fantasmes.
La
divinité posa le petit boitier dans mes mains et disparut. Je n'en
croyais pas mes yeux, enfin j’allai pouvoir retrouver une vie
normale ! Mon premier réflexe, ce fut d'ouvrir la boite ici,
tout de suite et d'accrocher mes yeux à la silhouette de n'importe
quelle fille dans la rue, pour reprendre enfin mon corps. Mais je me
ravisai. D'abord, ça n'aurait certainement pas été très agréable
de me retrouver en homme dans cette petite robe. Ensuite, il y avait
un risque. Les désirs venus de mes corps de femmes me troublaient
fréquemment et, souvent, des fantasmes féminins venaient se glisser
dans ma tête. Le corps dans lequel j'étais à cet instant semblait
d’ailleurs particulièrement réceptif, sous cet aspect. Depuis ce
matin, je devais faire des efforts pour ne pas fixer les pantalons
masculins. Il valait donc mieux être prudent.
Je
revenais chez moi en tenant fermement le petit boitier.
Habituellement, je ne mettais jamais les pieds dans mon appartement
quand j'étais une femme. Lorsque je savais que j'allais changer de
corps, je roulais hors de la ville jusqu'à un petit coin de nature
désert et j'attendais là que se produise la métamorphose. Mais ce
genre de précaution n'avait plus de raison d'être. De toute façon,
à cette heure-ci, mon colocataire était au travail et j'étais
certain que l'appartement serait désert.
J'allai
dans ma chambre, jusqu'au miroir, je me déshabillai entièrement et
je posai la boite sur la table. Je l'ouvrai lentement, enclenchant le
mécanisme. Une musique aigrelette se mit à tinter. Plus rien ne
pouvait m'arrêter, désormais, j'allais retrouver ma véritable
apparence ! Je n'avais qu'à me regarder dans la glace et une
seule vision de mon corps de femme nu suffirait : ce jour-là,
j'étais une jolie panoplie de courbes, avec un petit masque boudeur
sous un casque de cheveux blonds ébouriffés. Tout à fait le genre
qui les dresse aux messieurs d'un simple haussement de sourcils. À
côté de la boite à musique, mes yeux s'attardèrent quelques
secondes. C'était une photo de moi, encadrée. J'allais enfin
redevenir cet homme, pour toujours. Ça aurait été dommage,
d'ailleurs, de perdre définitivement ce corps, parce que j'étais
plutôt beau gosse, il fallait bien le reconnaître. Des épaules
larges et un regard qui vous perce. Mes hanches de femmes me
démangèrent légèrement, une moiteur s'insinua entre mes jambes.
Je
ne pris même pas la peine de lever mon regard jusqu'au miroir.
J'avais déjà compris.
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