Dans l'amer

Arnaud donna un coup de pied et Soraya plia le buste. Arnaud avait une vie, une position sociale, il s’était installé dans ce pays du Maghreb et y avait monté sa propre entreprise qui lui rapportait des sommes indécentes. Il avait l'habitude que les gens fassent ce qu'il disait et il n'allait pas laisser un trou à bite comme Soraya ruiner tout ça !
Serrant les dents, Soraya passa sa main sur son ventre. Arnaud ne savait pas vraiment d’où venait cette fille, il ne savait même pas si c’était vraiment ainsi qu’elle s’appelait. C’était juste une miséreuse échouée un jour devant chez lui et qu’il avait recueillie. Pas réellement par charité, mais parce qu’elle avait un grand regard et que ses voiles crasseux laissaient deviner des formes pleines et fermes. Arnaud avait couché avec elle et l’avait gardée comme bonniche et comme distraction occasionnelle. Il aimait bien Soraya, parce qu’il pouvait la traiter sans tendresse et qu’elle se laissait faire. Il suffisait d’avoir envie et de lui soulever la jupe. Elle écartait ses jambes, résignée, il la secouait tant qu’il voulait et se vidait quand ça venait, sans avoir à s’occuper de la satisfaire.
Inutile de résister, Arnaud, c’est trop tard pour toi.
La voix de Soraya était douce, vaste, caressante comme une berceuse. Elle était terrible aussi.
Arnaud donna un nouveau coup de pied et Soraya grimaça, puis se laissa tomber sur une chaise. Épuisé, Arnaud se contenta de rester immobile pour reprendre des forces. Tout avait dérapé quand Soraya s'était retrouvée enceinte. Elle l'avait caché autant qu'elle avait pu mais, lorsqu'il était devenu évident qu'elle attendait un bébé, Arnaud avait voulu la faire avorter. La docile Soraya s'était alors rebiffée, protégeant comme un trésor la graine alourdissant ses flancs. Fatigué des hurlements et des supplications, Arnaud l'avait jetée à la rue. Si cette idiote préférait avoir la cloque plutôt qu'un toit sur la tête, tant pis pour elle ! Soraya répétait que c'était son enfant à lui et qu'il ne pouvait pas faire ça, mais Arnaud n'écoutait plus. Pour finir il lui lança, méprisant :
Arrête ton cinéma, on n'est quand même pas responsable de ce qu'on met dans le ventre d'une pute !
La détresse de Soraya se mua en rage et soudain, ce fut l'inexplicable… Soraya s'enveloppa d'un tourbillon de vents furieux et noirs, percés par les deux petites flammes ardentes de son regard et, surgi du néant, un voile de sable s'enroula sur Arnaud qui hurla en vain, sans même parvenir à percer le vacarme. L'écrasement cerna son corps, pesant sur lui, le ratatinant comme un raisin fripé, puis il sentit son esprit se vider, aspiré par les souffles maudits qui galopaient dans sa tête. La nuit l'emprisonna et le calme, lentement, redescendit.
Enfermé dans le noir, Arnaud sentait que ses souvenirs continuaient de s'échapper, l'un après l'autre, laissant la place à un grand vide soyeux qui l'horrifiait plus que tout. Alors, il s'était mis à donner des coups à Soraya, pour qu'elle le libère et lui rende sa vie.
C'est inutile, Arnaud, je ne sais pas moi-même ce qui s'est passé. Sois raisonnable et laisse-toi aller. Bientôt, tu auras tout oublié…
Soraya caressa à nouveau son ventre. Elle sentait parfaitement la seconde vie qui s'était installée en elle et qui lançait des petits coups colériques. Pour quelques secondes encore, elle pouvait percevoir les pensées d'Arnaud et savait qu'il recevait les siennes.
Tout de même, j'attendais un enfant et me voilà avec des jumeaux ! Dis-moi, Arnaud, avant que ton esprit disparaisse complètement, tu t'es demandé si tu allais être un garçon ou une fille ? Bah, qu’importe après tout, je sais que tu seras un petit enfant très sage…
Le bébé qui venait d'arriver dans son ventre frappa encore une fois du pied, avec une violence redoublée, puis se calma définitivement.





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