Donna et le Diable



 – Hé, t'as vu, hier, c'était la fin de la saison cinq de My Little Pony. C'était trop bien !
Donovann et ses dessins animés ! Donovann et ses super-héros ! Ses films, ses musiques d'attardé ! Ce gros nul passe sa vie réfugié dans sa tête, à se bercer de douceurs et il se croit obligé de m'en parler ! Je n'en peux plus, de ce mec ! Ce n'est plus possible, je n'ai pas mérité ça ! Parce que quand même, moi, je ne suis pas n'importe qui. Des années de régime anorexique, une blondeur de pétasse ultime, une silhouette à faire bander toutes les pages d'un Playboy, un cul à roulement hypnotique, une bouche à faire crever les slips et en prime des nichons tellement dressés qu'on a l'impression qu'avec eux la gravité s’est trompée de sens… Ce n'est pas rien, quoi ! Et là, je me retrouve dans cette boutique minable, à faire la vendeuse minable, avec ce taré de Donovann comme collègue ? Non ! La vie ne peut pas être aussi cruelle !
Ah ! Si au moins mon patron me harcelait un peu, genre pour y mettre la main ou autre chose, ça me regonflerait quand même mon petit ego. C'est vrai qu'il est à mon gout, en plus, avec sa Mercedes rutilante, son chalet à la montagne et sa résidence secondaire sur la côte… Mais même pas ! Rien ! À la place, il se tape la bonne rigolade avec l'autre abruti et ses poneys !
C'est pas juste, pas juste, pas juste, et d’abord, je me vengerai !




La blondinette avait la rancune aussi ferme que son adorable derrière et ses idées étaient aussi étroites que son envoutant recoin. Elle n'allait donc pas renoncer comme ça ! Elle trouva finalement une malédiction vaudoue qui valait dur, mais qu’importe, quand le vaudou vaut, il faut ce qu’il faut ! Vu ? Le lendemain, elle arracha un cheveu à Donovann, et le petit cri de douleur de celui-ci fut pour elle l'agréable avant-gout des hurlements abominables qu'il n'allait pas manquer de pousser ensuite. Elle avait maintenant tous les ingrédients nécessaires !
Le matin suivant, Donovann mit du temps à réaliser. Mais, dans sa glace, il y avait ce visage étrange, ces cheveux, et plus bas ces monticules qui débordaient devant lui, et plus bas encore la courbe lisse de son ventre qui aboutissait entre ses cuisses, sans obstacle, et s'engloutissait par en dessous dans les replis étranges d'une fente…
Pendant toute la matinée, au travail, la méchante petite pin-up blonde avait fait semblant de rien. Dans sa tête, cependant, elle avait les idées volcaniques ! L’absence de Donovann prouvait que la malédiction avait fonctionné et la jeune fille se délectait de l'annonce imminente du drame. Elle en eut presque un orgasme quand la grosse dondon déboula dans la boutique, échevelée, poussant de grands cris et roulant des yeux ! La vengeance ! Enfin ! La boulotte échoua devant elle, la prit par les épaules et, toute à son émotion, la secoua comme si elle voulait la réveiller :
Hé, tu vois ce qui m'arrive ?
Ah ah ah, dit la blondinette en ricanant, ah ah ah, bien entendu que je le vois ! C'est même moi qui t'ai fait ça ! Je t'ai transformé en femme, Donovann ! En grosse femme ! Tu devras passer le reste de ta vie dans ce corps de femme dégoulinant de graisse et de mamelles ! Qu'est-ce que tu en dis ?
Merci ! Oh, merci !

 



Tu sais, ce matin, d'abord j'ai eu peur, vraiment peur, peur de ne plus me retrouver, d'être un autre, d'avoir été sorti de moi-même… Et puis j'ai senti des choses, comme de nouveaux équilibres. Ma poitrine devant moi était si naturelle et son poids venait tellement bien me compléter. Je trouvais qu'elle me plaçait là où je devais être. J'aime tellement les gros seins et, ceux-là, ce sont les miens ! Tu te rends compte ? Ils bougent quand je bouge et quand ils tirent devant moi, je sais qu'ils sont à moi et qu'ils font de moi une femme. Ils oscillent, ils basculent, ils prennent de l'espace entre mes bras et ils ne me laissent jamais oublier ce que je suis devenu et, ça, c'est tellement bon ! Quand les gens les regardaient dans la rue, ce matin, j'avais les joues toutes rouges et je détournais les yeux, mais j'avais envie d'exploser tellement j'étais heureuse. Tu as vu, j'ai dit heureuse au féminin. Depuis si longtemps je voulais pouvoir parler de moi au féminin mais, tu comprends, je n'étais qu'un homme. Et maintenant je suis une femme et, oui, je suis grosse aussi, et franchement je trouve que ça me va plutôt bien… Et tout ça, c'est grâce à toi ? Oh, tu es vraiment ma meilleure amie !






Je sais, on ne lutte pas contre la poisse. Surtout quand cette poisse s'appelle Donovann. Enfin, maintenant, je dois dire Donna ! Au début, je me consolais, je me disais que Donna avait beau avoir l'air heureuse à s'en faire péter une coronaire, elle allait voir ce qu'elle allait voir. Les grosses vaches, les mecs te les classent vite fait au rayon bouffonnerie et il y a toujours une petite salope dans mon genre pour leur faire sentir qu'elles font tache sur la photo. Mais avec Donna ? Pfff ! Elle est tellement conne que ça la rend inoxydable ! Rien n'arrête son sourire. Et elle est contagieuse, en plus ! Je ne sais pas, c'est peut-être un nouveau modèle de boulet, avec un gros aimant au milieu, parce que tout le monde se colle à elle. Elle s'est faite plein d'amis, des amis aussi débiles qu'elle, d’accord, mais des amis, quoi ! Elle… des amis !
Ils se déguisent en héros, le week-end, et ils vont écumer les conventions ensemble et tout le monde a l'air de trouver ça bien. Elle a même des admirateurs qui mettent des photos d'elle sur internet et ça a un de ces succès ! La dernière fois que j'ai regardé, il y en avait des pages entières ! Là, je dois avouer que ça m'a contrariée, un tout petit peu, et je me suis même laissée aller l’espace d’un moment… C'est fou ce que c’est relaxant, de jeter de toutes ses forces un écran d’ordinateur sur une commode en poussant des hurlements hystériques !
Mais je ne voulais pas abandonner. Je me suis accrochée, j'ai surmonté l'insupportable, j'ai accepté l'insurmontable et supporté l'inacceptable, et j'ai continué à lui sourire, pour donner le change, en attendant mon heure. Pour elle, j'étais une amie, la meilleure, la BFF, celle qui lui avait tout offertTu parles ! Chaque fois que je la voyais, je devais me réciter mentalement la composition de la mort au rat pour ne pas me mettre à pleurer. Oui, j'ai été regardé ça, sur internet, un soir d'inspiration. Enfin, c'était avant que j'aille voir les photos de Donna parce que, depuis les photos, mon écran a un peu de mal à s'allumer.
Mais là, non, ce n'est plus possible. Même moi, je ne peux plus tenir après ce qu'elle est venue me dire aujourd'hui…



Tu sais quoi, mon amie ? Le patron veut que je devienne sa secrétaire personnelle. Je te le dis à toi, mais c'est un grand secret : en fait, je crois que, depuis qu'il a couché avec moi, il a du mal s'en passer. Il veut toujours qu'on soit ensemble. Peut-être bien qu'il est amoureux !
C'est formidaaaaable !
Bromadiolone 0,005%, Mélasse 4,5%, BHT 0,2%…
À ce stade, ce qui me retient de tout envoyer promener pour m'offrir enfin une bonne petite dépression nerveuse, c'est l'idée que Donna viendrait me tenir compagnie pendant ma convalescence !



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