Donamuse


Don était dans sa chambre, en plein sommeil, en plein rêve. C'était un rêve érotique, un songe soyeux de femmes aux rondeurs engageantes, chaudes de tous leurs sourires. Don passait parmi elles, parfois comme un homme, parfois comme un enfant réfugié au creux de leurs bras et parfois, même, en changeant de chair, il devenait l'une d'elles. C'était les parties du rêve les plus vives, les plus intenses, celles qui lui donnaient ce genre de plaisir totalement entier impossible à retrouver une fois le songe enfui.

– Hé ! Donna, tu t'amuses ? Il serait peut-être temps de faire ta Muse…

Le personnage qui venait de surgir était un petit homme gris et bedonnant, avec une cravate en laine et un veston trop vieux. Il fixait Don de ses yeux délavés, sévèrement froncés, et continuait à répéter les mêmes mots, comme un disque rayé.

– Ta Muse, ta Muse, ta Muse…

Le rêve devenait idiot et cela voulait dire qu’il était malheureusement temps d’y mettre fin. Autour de l'homme, Don vit sa chambre réapparaitre lentement. Les femmes s'en allaient, Don retrouvait sa vie, et la saveur fugace de ce moment magique le quittait pour se réfugier dans un entêtant souvenir. En ouvrant les yeux, il retrouva son corps à lui, son corps de jeune homme allongé sur son lit.

Mais le petit homme était toujours là.

– Il est l'heure voyons, Donna. Et puis c'est ta première journée, j'ai beaucoup de chose à te montrer. Ça ne s'improvise pas, d'être une Muse…

Don se frotta les yeux. Il finit par se redresser et l’intrus sembla alors le découvrir. Il écarquilla les yeux.

– Tu n'es pas Donna ! Tu n’es pas Donna ! Tu devrais être Donna !

L'homme se prit la tête entre les mains, ignorant Don qui, encore cotonneux de sommeil, avait ouvert la bouche pour répondre. Mais l’autre de lui laissait pas placer un mot.

– Pourtant… C'est impossible, impossible ! Les consignes sont formelles ! Et puis tu étais d'accord, n'est-ce pas ? C'est un engagement, maintenant ! Tu dois musarder chez les créateurs pour leur délivrer l'inspiration. Tu es une Muse, c'est ton travail ! Les consignes sont formelles, formelles !

Don revenait du rêve et il n'était pas encore bien certain de la réalité de cette scène absurde. Mais quelque chose le touchait, dans l'air perdu du petit homme, qui répétait toujours que les consignes étaient formelles, mais semblait en être de moins en moins convaincu. Finalement le petit personnage poussa un long sanglot plaintif et se mit à s'arracher les cheveux ! Quand il eut rassemblé une bonne touffe en grimaçant, il la posa dans une petite coupelle et sortit un briquet pour y mettre le feu. Une minuscule figure rouge et joufflue apparut dans les flammes. L'homme lui expliqua toute la situation.

– C'est la bonne chambre, au bon moment, et les données sont formelles ! Formelles ! Mais Donna n'est pas là. Elle a été remplacée par… par autre chose !

Don allait protester que personne ne l'avait « remplacé », et surtout qu’il n’était pas « autre chose », mais la figure dans le feu ne lui en laissa pas le temps.

– Tant pis, faites avec ! Mettez-lui le costume et qu'il fasse la tournée prévue aujourd'hui. Nous trouverons quelqu'un d'autre pour demain !

Le petit homme se tourna vers Don. Son regard avait perdu toute trace de dignité. Il revint vers le petit génie au milieu des flammes.

– S'il vous plait, non…

Pour toutes réponse, le feu se mit à crépiter et les volutes de fumées se contorsionnèrent dans une danse d'arabesques au rythme furieux. L’homme baissa la tête, vaincu.

– C’est d’accord, dit-il au génie qui disparut instantanément.

L’homme se tourna alors vers Don et commença à lui parler doucement, avec la voix cajolante qu’on utilise pour convaincre un enfant.

– … Je vous donnerai un beau costume, vous verrez des paysages formidables, vous allez voler même ! Vous vous rendez-compte ? Allons, vous ne pouvez pas refuser…

– C’est bon, pas la peine de me parler comme ça ! Je n’ai plus cinq ans…

Don n'arrivait pas à réfléchir convenablement. Tout ça semblait si vrai, si évident, si naturel, que Don avait perdu toute notion de ce qui était possible et de ce qui n’aurait pas dû l’être. Absurde pour absurde, il décida finalement de ne pas lutter et de suivre sans essayer de comprendre.

– Bref, vous avez besoin que je fasse un remplacement, c’est ça ? Alors… allons-y !

Le petit homme battit des mains de contentement en répétant « oh merci, oh merci, oh merci… »

– Bon, il est où, ce costume ?

– Mais voyons, vous le portez déjà !

Don baissa les yeux. Un long bout de tissu blanc passait sur ses jambes, remontait sur son torse, laissant une large ouverture sur sa poitrine d'homme.

– Mais c'est une robe ! Je ne vais pas sortir en robe quand même !

– Que voulez-vous, les consignes, les consignes ! C'est ainsi que s'habillent les muses, je n'y peux rien. Allons, ne vous inquiétez pas, ce n'est qu'un costume après tout, et il n'y en a que pour une journée…


C'était étrange, de se retrouver en l'air, à plat ventre dans le ciel, à la suite du petit homme.

– Attention, cria celui-ci, élevant la voix pour couvrir le froissement du vent, nous allons entrer dans le premier onivers. Ne soyez pas surpris si vous changez de forme, c'est normal…

La transition fut brutale. L'azur se chargea d'un immense arc-en-ciel. Plus bas, dans une prairie, des jeunes filles en jupettes, portant des chemisiers à cols marin, agitaient des baguettes aux formes compliquées, lançant autour d'elles des éclairs de lumière et de nuit. Elles tendaient leurs corps fins, comme des joueuses de tennis gracieuses et souples, poussant des cris aigus à chacune de leur incantation. À côté du groupe, une petite fille, encore un bébé, jetait sur tout ça son immense regard étonné. Don se sentit irrésistiblement attiré par elle. Il se posa doucement et pris l'enfant dans ses bras, repoussant son décolleté pour découvrir une mamelle gonflée et savoureuse. L'enfant téta goulument, ravi. Tout de même, se dit Don, il avait beau avoir été prévenu, ça lui faisait vraiment étrange de se retrouver dans un corps si différent du sien !

L'onivers s'effilocha autour d'eux, l'enfant disparu soudainement et le petit homme réapparu à côté de Don, l'emportant en l'air.

– Qu'est-ce que c'est que ce truc ? Demanda Don d'une voix terrorisée.

– C'est un onivers, l'univers onirique d'un créateur, c'est en entrant dedans que vous pouvez influer sur son imagination et lui souffler l'inspiration. C'est un peu déroutant parce qu'on ne sait jamais quelle forme il va prendre, mais une muse bien entraînée a…

– Je ne vous parle pas de ça ! Qu'est-ce que c'est que ce truc sur ma poitrine ! Je croyais que j'allais retrouver mon apparence !

Don avait retrouvé son corps d'origine, à un détail près : désormais, deux seins gonflés pendaient mollement sous son buste.

– Oh, euh, ce n'est pas grave, pas grave… Vous vous êtes un peu trop investit dans votre personnage, voilà tout. Tout rentrera dans l'ordre lorsque vous reviendrez chez vous, c'est certain. Prenez garde, nous arrivons dans un nouvel onivers.

Deux dragons sauvages crevèrent l'azur devenu rouge. Des nuages pleuraient une eau visqueuse à l'aspect de sang. Plus bas, des armées de créatures mythiques s'étaient lancées l'une contre l'autre. Un petit guerrier au pourpoint de cuir hurlait ses ordres. Don se retrouva à côté de lui, harnaché de plaque de fer, un mors bloquant sa bouche. Il était redevenu une femme, une grande femme presque nue, avec une petite selle attachée autour de ses reins, qui semblait la destiner à servir de monture humaine. Le petit homme se jucha dessus, hurlant furieusement ses ordres à ses troupes. Réduite au rôle de cavale, Don agitait à chaque coup d'éperon ses longues jambes sculpturales terminées par des bottes de cuir, pourvues de sorte de sabot à l'extrémité, lui allongeant le pied comme une chaussure à talon. La bataille redoubla de fureur. Don croisait d'autre femmes guerrières, portant d'autres hommes de petites tailles et, en les voyant si belles, il devinait à quel point son propre corps devait être parfait. Il ne pouvait alors s'empêcher d'agiter la longue crinière tombant sur ses épaules, dans un mélange de colère et de contentement.

La sortie de cet onivers fut un soulagement, pour Don. Il commençait à craindre de se laisser emporter par les passions qui enflammaient ce corps. Cependant, revenu dans un ciel plus clément, Don su tout de suite que quelque chose n'allait pas… Il baissa les yeux et découvrit, au-delà de sa paire de seins toujours en place, que, cette fois, c’est tout le bas de son corps qui était devenu féminin ! Don essaya de se raisonner, se répétant que tout cela n’était que provisoire, mais il ne pouvait s'empêcher de songer à ce qui se trouvait maintenant entre ses jambes, et surtout à ce qui ne s'y trouvait plus…

Le guide cria à nouveau et Don se prépara à pénétrer le troisième onivers. Malgré les émotions, il ne se sentait pas fatigué. Il y avait même en lui une certaine impatience.

Cette fois, Don n'arriva pas par les airs. Il se retrouva brutalement sur une estrade couverte d'or. L'armée devant lui était au garde à vous, dans les uniformes chatoyants de la garde spatiale. Don commença l'inspection des troupes. Dans le regard des hommes, elle voyait un mélange de respect, de soumission face à sa grandeur, et en même temps d'autres formes de révérations, plus masculines et chargées de désirs. Elle était l'impératrice fulgurante, la souveraine superbe, et tous lui avaient voués leur vie ! Derrière elle, des suivantes à la beauté rare portaient sa traine. Mais, devant sa glorieuse splendeur, même ces jeunes filles étaient éclipsées. L'impératrice s'arrêta devant le promontoire qui donnait sur le gouffre de l'espace. Elle regarda l'immense planète, face à elle, qui recelait tant de mystère.

– Oh non ! C'est déjà fini ?

Le petit homme haussa les épaules devant la moue fâchée de Donna, qui était maintenant entièrement une femme.

– Dès que l'inspiration à semée sa graine, vous sortez de l'onivers, c'est normal. Allons, suivez-moi…

Mais Donna ne suivit pas, elle s'élança d'elle-même, car elle avait senti à quelques nuages de là un nouvel onivers à explorer. Le petit homme derrière elle la hélait, mais ses efforts pour la retenir amusait Donna. Tout l'amusait.

– Revenez, ça suffit. Il faut rentrer chez vous pour vous rendre à votre vie !

Mais Donna était déjà trop loin et de toute façon, elle n'écoutait pas. Elle filait, impatiente d'aller encore et encore jouer à la muse. Le petit homme s'arrêta, haussa les épaules, s'arracha une touffe de cheveux avec des petites grimaces douloureuses et trouva un nuage à l'abri du vent pour entrer en communication avec la figure dans les flammes.

– Je crois que c'est inutile de chercher une remplaçante, nous avons notre nouvelle muse…





Commentaires

  1. J'adore les histoires longue et celle ci est vraiment originale c'est à ce demander où tu trouve toute tes idées, sûrement que Donna veille sur toi

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    1. Ah, je n'y avais pas pensé ! Peut-être bien qu'elle était au-dessus de mon épaule... En tout cas je suis content que cette histoire t'aie plu. C'est une vieille histoire, mais je me rappelle avoir eu beaucoup de plaisir à l'écrire.

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