La fille de la sorcière



La promesse et la bague



Je rentrai du travail d’assez mauvaise humeur, ce jour-là. De manière générale, pourtant, je n’avais pas de quoi me plaindre. Jeune cadre prometteur habitant les beaux quartiers, doté d’un succès certain auprès du sexe opposé et d’un compte en banque me laissant profiter de l’existence, avec ce qu’il faut d’amis et de fantaisie pour ne pas redouter l’ennui… Je ne m’en sortais pas si mal ! Seulement, c’était de ces journées où tout se ligue. Au matin, la prospection avait changé les objectifs pour la troisième fois, et toute mon équipe avait dû refaire le projet, pour la troisième fois ! À midi, très excitée, ma sœur Tiphaine m’avait annoncé son nouveau crush, un autre quelconque loser sans le sou se donnant des airs d’artiste, et j’anticipais déjà le moment où elle terminerait en pleurs sur mon canapé. Pour finir, l’après-midi, j’avais essuyé une nouvelle rebuffade amusée de cette Sonia, la bombe des hôtesses d’accueil de la boite, qui continuait à jouer avec moi, fuyante comme une jeune chatte, au point que son accent italien à faire chavirer mes fantasmes tournait maintenant dans ma tête comme une mauvaise rengaine de moquerie.

– Ça ne va pas comme tu veux, voisin ?

Quand il me fixait, le regard de Lorna me troublait et, sans que je me l’avoue vraiment, il me mettait un peu mal à l’aise. Comme s’il était trop profond, trop mystérieux, et en même temps trop franc. Grande, dans la pleine floraison de sa jeunesse, mais sans qu’on puisse vraiment lui donner un âge, elle n’était pas jolie, elle était belle, d’une beauté irréprochable de statue, une beauté si définitive qu’elle en dépassait même toute idée sexuelle, devant qui la vie en entier semblait devoir se courber, par simple respect. Elle m’avait rejoint sur le palier et s’écarta en me faisant signe d’entrer chez elle.

– Tu tombes bien, je m’ennuie un peu, on parlera.

En toute simplicité, Lorna agrémentait le moindre de ses gestes d’un charme irrésistible. J’arrivai dans son salon et saluai sa mère, ou sa grande sœur, je n’avais jamais bien su. Un autre genre de beauté surnaturelle, la quarantaine resplendissante, portant toujours sur son visage un sourire impénétrable d’aristocrate, silencieuse la plupart du temps, semblant laisser s’écouler les choses autour d’elle pour mieux les toiser derrière son masque de sagesse. C’était le genre de personne inaccessibles qui paraissait avoir tout connu, tout deviné, et cette posture d’omniscience m’agaçait un peu. Lorna vint se déposer à côté d’elle, gracieuse comme une liane, et elles se prirent la main. Pendant une demi-heure, le babil de Lorna occupa la conversation. C’était futile mais, après une journée dans les soucis du quotidien, c’était étrangement revigorant. À un moment, pourtant, les épaules de Lorna se soulevèrent imperceptiblement, et je vis du coin de l’œil que les doigts de sa mère s’étaient serrés doucement autour de sa main. Lorna repris sa conversation une ou deux secondes après, avec la même chaleur, mais d’une voix très légèrement plus sombre.

– Et sinon, tu comptes te donner des vacances ?

– Le travail, tu sais… je n’ai pas vraiment le temps de penser à partir !

– Qui te parle de voyager ? Je disais : vacances. Tout changer pour un moment, explorer les choses d’un autre point de vue. Allons, ne me dit pas que tu n’y as jamais pensé ! Qu’est-ce que ça te ferait, si tu pouvais aller d’une vie à l’autre ?

– Aller d’une quoi ?

Lorna retira une de ses bagues et la glissa dans ma paume. La fraicheur de ses mains rendait sa caresse entêtante.

– Inutile d’essayer de t’expliquer. Tu n’auras qu’à enfiler cette bague, une fois chez toi, et tu comprendras. Je te promets que tu ne vas pas en revenir !

La conversation reprit, mais le charme était rompu. Je me demandais chez quel genre d’allumée j’étais tombé ! Bientôt, sa mère posa sa main sur la cuisse de Lorna, et lui rappela d’une voix un peu trop détachée qu’il était l’heure de son rendez-vous. Lorna s’éclipsa bien vite, en souriant, nous laissant seuls. La femme superbe vrillait ses yeux extraordinaires sur moi. Je comptais profiter du départ de Lorna pour partir à mon tour et je m’étais déjà levé, quand la femme attrapa elle aussi une de ses bagues. Cette fois, ce n’était pas pour me la donner, mais simplement pour la faire tourner sur son doigt. Immédiatement après, sa bouche laissa couler jusqu’à mon oreille un souffle aux miroitements envoutants. Je ne pouvais même pas dire si elle avait réellement parlé, et pourtant ses mots semblaient gravés dans ma tête. Cela évoquait la solitude et l’envie d’amour. J’ignorais si cela s’adressait à elle ou bien à moi mais, l’instant d’après, fou de désir et sans comprendre, j’étais contre son corps et je la déshabillai. Elle avait des courbes fermes que pouvaient lui envier bien des adolescentes et, lorsque mon sexe s’empara d’elle, son visage rompit toute apparence de sévérité pour s’ouvrir au plaisir.

Après cela, je rentrai chez moi assez précipitamment, laissant la femme allongée dans l’abandon qui suit les orgasmes, les traits complètement adoucis, encore plus belle qu’avant. Une fois dans mon appartement, je gardai l’impression persistante et légèrement désagréable d’avoir fait un écart hors de ma vie. Normalement, j’aurai dû être fier de la pièce d’exception que je venais d’accrocher à mon tableau de chasse, mais c’était pourtant tout le contraire. J’avais l’impression confuse d’avoir été forcé, presque d’avoir été violé, comme si je n’avais été qu’un pantin dont on dispose. Pour me nettoyer l’esprit de ces pensées sombres, je rejoignis des amis pour la soirée.

Vers minuit passé, alors que je rentrais à pieds, je repensai à tous ces événements à travers les brumes un peu trop lourdes de l’alcool. Je n’arrivais plus vraiment à savoir si j’avais rêvé, jusqu’à ce que ma main heurte la bague au fond de ma poche. Je la sortis pour la tendre au ciel de la nuit, et je la passai à mon doigt en criant : « Tadaaaam, c’est une autre vie ». J’étais en plein milieu de la rue et, heureusement, elle était déserte. La transformation commença…





L’aube d’un corps



C’était comme si on venait chambouler tous mes organes, mais ce n’était même pas désagréable. Plutôt comme un froufroutement dans mon corps. La vue était bien plus impressionnante ! Mes mains s’affinaient et mes ongles s’allongeaient, devenant comme de petites gouttes nacrées passées à la manucure et se couvrant d’un drôle de vernis rouge. Alors que j’écartais mes paumes, mes yeux tombèrent sur ma poitrine. Deux globes gonflaient là, avec des tétons pointus au bout, dardant comme de petits points d’exclamation. En-dessous, ma taille s’étranglait, plus légère et plus souple, déliée au naturel, tandis que mes hanches et mon fessier prenaient doucement de la consistance, comme pour donner une harmonie à l’ensemble. En moi, tout s’incurvait ainsi, jusque dans mes jambes, et mes muscles cédaient un peu partout la place à une chair plus pleine et plus mobile. C’était un peu comme si je me remplissais d’une sorte de gélatine, une pression là faisant bomber les choses ailleurs ! Étrangement, pendant ce temps, la rue semblait monter légèrement autour de moi, jusqu’à ce que je réalise que c’était moi qui étais en train de perdre des centimètres. Quand mon pénis quitta mon slip, aspiré par mon abdomen et remplacé par la coupure rectiligne d’une vulve, la peur abasourdie qui était la mienne depuis le début de ma métamorphose se changea en véritable panique. La température de ma poitrine chuta et je restai là, sans bouger, tétanisé comme si je venais de tomber nez à nez avec une araignée grande comme une voiture en train de lorgner sur moi.

L’instant d’après était si incroyable et si incongru, que, paradoxalement, il chassa presque toute ma terreur. C’était invraisemblable, donc c’était au-delà même de la crainte… Je réalisai que mes vêtements accompagnaient ma transformation ! Ma veste s’était roulée en boule pour former un joli sac à main qui avala littéralement mon portefeuille ! Ma chemise se rassembla pour faire un soutien-gorge ourlé de dentelles, qui relevait devant moi ma poitrine pourtant déjà bien dressée ; mon boxer devint une culotte de fille remontant sur mes hanches et découvrant mes fesses, tandis que mon pantalon se déchira en arabesques qui tournèrent lentement autour de moi, pour venir se reconstituer autour de mon buste et sur mes cuisses, en une robe collante et courte à la couleur criarde. Quant à mes chaussures, elles mutèrent en un genre de Louboutin aux talons invraisemblables, qui me tendirent sur la pointe des pieds comme une pouliche de concours ! Ça aurait presque pu être drôle, d’ailleurs, le passage au corps féminin m’ayant fait descendre d’un cran et les talons me remontant d’un coup d’une bonne quinzaine de centimètres. Sauf que je n’avais vraiment pas le cœur à la plaisanterie ! Désormais, la transformation était finie, j’étais une femme et un coup d’œil rapide au petit miroir dans mon sac à main acheva de m’en donner la preuve ! J’étais jeune et belle et j’étais maquillée ! J’étais… femme !

« Une autre vie » … J’aurai été bien inspiré de prendre plus au sérieux la promesse de Lorna ! Pris de colère et complètement dégrisé, je décidai d’aller immédiatement chez elle pour lui dire son fait et pour qu’elle me rende mon corps masculin ! L’instant d’après, j’étais par terre, et ma cheville était douloureuse… Ces chaussures demandent de vrais talents d’équilibristes pour avancer ! Je me relevai précautionneusement puis, en ne me fiant qu’à mes orteils et en évitant de m’appuyer sur mes talons, je parvins à progresser cahin-caha, serrant les lèvres, maudissant intérieurement Lorna, maudissant ma stupidité, maudissant la vie en générale et cette saloperie de mode féminine en particulier, vouant à tous les enfers les paires de nichons, les mini robes et les talons aiguilles…

Arrivé devant la porte de ma voisine, je cognai dessus de toutes mes forces. Alors que je m’attendais à ce que la pièce de bois résonne de grands coups sourds, elle se contenta de tinter presque gentiment. C’est que je n’avais plus aucune force, dans ces bras de fille fins comme des spaghettis. Je m’acharnai néanmoins une bonne minute, frappant comme une hystérique à m’en faire mal aux mains. Finalement, sur le point de taper du pied par terre de frustration, je vis une lettre à moitié glissée sous le paillasson. Je me baissai, manquant de glisser à nouveau à cause de mes talons en gratte-ciel et en même temps gêné par mes seins qui basculaient devant moi, modifiant les équilibres déjà ondulants de mon corps. Il y avait mon nom écrit sur l’enveloppe.

« Nous sommes parti en voyage, nous revenons dans quelques temps. Bonne chance avec tes vacances... » Signé : Lorna.

Ce n’était pas possible, c’était un coup monté… Mais bien sûr, c’était un coup monté ! J’extirpai mes clés de mon sac à main et rentrai chez moi, comme on se précipite au fond d’un abri.

– Oh, Sis’, c’est affreux… Si tu savais ce qu’il m’a dit !

Tiphaine était là, sur mon canapé, elle fixait sur moi ses grands yeux déjà gonflés de larmes, tendant les bras pour se faire consoler. Elle vint se coller à moi et, alors que ses lamentations commençaient sur son amour déjà terminé, je pris conscience du fait extraordinaire qu’elle me reconnaissait malgré ma forme féminine ! En jetant un coup d’œil à mon appartement, je me rendis compte des transformations. Les magazines de filles à la mode posés sur le guéridon, les voiles de couleur aux fenêtres, les petites tâches de lumière pastel des lampes fantaisies, le napperon mandala sur la table basse.

– Pas tout de suite, Tiphaine, je ne suis vraiment pas bien…

Je repoussai doucement ma sœur et me réfugiai dans ma chambre. Clairement, c’était une chambre féminine ! Dans mon armoire, il y avait des nippes de gonzesse qui encombraient les étagères et les tiroirs. Mon dossier porno avait disparu de mon ordinateur et, à côté du bureau, il y avait une coiffeuse surchargée de produits de beauté. Alors que j’avais l’impression que tout basculait, je reculai jusqu’à la salle de bain pour m’enfermer là. J’avais envie de vomir ou de m’évanouir, je ne savais encore pas trop. La vue d’un canard vibreur attendant sur le rebord de la baignoire acheva de me donner la nausée ! Je fermai les yeux, longtemps, intensément, me répétant que j’étais un homme comme une Dorothy appelant son Kansas. Mais je sentais toujours les deux poids sur mon buste, je sentais mes cuisses nues, mes fesses trop rondes, mon torse serré dans la robe, mes petits pieds enfermés dans les chaussures à torture, mes cheveux trop longs sur mes épaules.

C’est à ce moment-là seulement que je pensai à retirer la bague.

Le monde repris d’un coup son aspect normal ! Dans la glace, mon visage d’homme enfin retrouvé me fixait, ahuri, figé d’incompréhension. Mes vêtements étaient redevenus de confortables habits sans couleurs et ils laissaient mon corps agréablement libre de ses mouvements. Au sol, ma veste et mon portefeuille avaient remplacé le sac à main tombé là. Il n’y avait plus de canard et je savais déjà que le harem de mes amoureuses porno-numériques m’attendaient sagement au fond de mon ordinateur.

Je retournai dans le salon. J’y trouvai Tiphaine, sur mon canapé, fixant sur moi ses grands yeux déjà gonflés de larmes.

– Oh, Bro’, c’est affreux… Si tu savais ce qu’il m’a dit !



Il me fallut une semaine entière avant de repenser à la bague. Plus exactement, je ne cessai pas de l’avoir en tête, mais c’était pour tenter de l’oublier. Le traumatisme de ma vie d’homme envolée d’un coup ne m’avait pas quitté comme ça ! Au bout d’une semaine, les choses m’apparurent enfin sous un autre jour. J’avais devant moi une vie d’homme, et une autre de femme, et je pouvais passer de l’une à l’autre quand je le souhaitais, librement, d’un simple geste sur ce bijou. C’était aussi facile que cela.

L’idée fit alors son chemin dans ma tête que ce serait dommage de ne pas en profiter… Le week-end était là et je décidai de sortir m’amuser dans ce corps de fille jeune et excitante ! L’idée me plaisait de plus en plus. Assumer ce genre de fantasmes devant mes amis, sans même parler de ma famille, ça aurait été certainement une autre paire de manche. Mais là, il suffisait de passer d’un univers à l’autre, sans laisser de traces, gardant pour moi seul les souvenirs et les sensations. L’idée était grisante !

La prudence aurait voulu que je fasse d’abord une tentative chez moi, seul et à l’abri, pour m’habituer un peu. Mais je n’avais même pas besoin d’être prudent, en réalité. Si les choses devenaient déplaisantes, je n’aurais qu’à régler ça d’un geste à mon doigt. C’était vraiment aussi simple que ça et je trouvai très agréable de me jeter dans le bain sans avoir besoin de réfléchir. Pour une fois, je n’allai rien prévoir, rien calculer…

Marcher dans la rue fut déjà une aventure, mais pas le genre d’aventure pitoyable de la première fois. Mon corps apprenait étonnamment vite les gestes féminins, comme s’il se contentait de retrouver des souvenirs, et les talons interminables n’avaient déjà plus de secret pour moi. Je pouvais tranquillement faire onduler ma démarche, comme ces filles qui cherchent à se rendre intéressantes. Je sentais la tension chez les hommes que je croisais. Il y avait ceux qui essayaient de ne pas regarder dans ma direction, ceux qui se retournaient derrière moi pour détailler le paysage, ceux qui pointaient tout de suite leurs yeux sur l’essentiel remplissant mon décolleté, ceux qui me fixaient sans pudeur et ceux qui le faisaient en douce, se laissant surprendre par le balayage rapide de mes yeux voilés de maquillage. De mon côté, j’avais à peine besoin de voir pour sentir, c’était comme un instinct, une chaleur dans mon corps qui m’annonçaient les désirs, et je m’amusais comme une folle ! Chaque chavirement entaillant la tranquillité d’un mâle me donnait une victoire.

Une fois dans la boite de nuit, les prédateurs ne furent pas longs à me repérer. Une fille solitaire, jeune, avec un corps à faire pâlir d’envie une playmate normalement constituée, c’est le genre d’hameçon qu’ils espèrent tous croquer ! Cinq minutes après, on m’offrait un verre. Le type était plutôt bien fait et très sûr de lui, avec une manière de me regarder comme si je ne comptais pas. Cette assurance me déstabilisa un peu. Je m’étais plutôt attendue à une sorte de chien en chaleur, le regard écarquillé et la langue prête à sortir. Et surtout, je n’avais pas vraiment songé à ce qu’une jolie fille répond en pareille circonstance. Je n’avais qu’un cerveau d’homme, moi, et à cet instant il s’emberlificotait sérieusement… Je restai quelques secondes en bafouillant, et l’autre en profita pour commander, m’obligeant par le fait accompli. En se retournant, il glissa même sa main le long de mon bras, comme un geste anodin qu’on fait sans y penser. De mon côté, j’avais tellement perdu mes moyens que s’insinua alors en moi alors le doute affreux, la vision de cauchemar que tout le monde était parvenu à deviner que j’étais un homme. J’étais juste un homme en robe devant tout le monde ! C’était une idée ridicule, pourtant, et je le savais bien…

Je devais de toute urgence me débarrasser de ce genre de doutes et me ressaisir ! Étrangement, ce fut la pensée de ma sœur qui me tira de là. Tiphaine, l’éternelle victime amoureuse, l’exaltée des flirts catastrophiques… Son image s’imposa dans mon esprit comme un repoussoir. J’étais une bitch, moi, une créature de luxe, une poupée affolante qui les tenaient par la braguette, et ils allaient voir ce qu’ils allaient voir ! Le verre arrivé devant moi, je me dégageai de la ventouse masculine d’un coup d’épaule négligent, je claquais au Casanova des dancings un « merci pour le verre, mais j’aime boire seule » et, prenant la boisson, j’allai m’asseoir à l’autre bout du bar, le plantant là. Je redoutai qu’il me suive, ou pire qu’il se mette en colère. En jolie petite chose de fille, je n’avais rien à espérer si les choses tournaient à la violence. Mais il resta posé dans son coin, interloqué de mon audace, ne trouvant plus rien à faire.

Je m’en étais bien tirée, finalement, mais je devais être plus prudente. Après tout, quand j’étais un homme, je n’étais pas le dernier à user de ruses de chasse pour piéger la poulette. Je pouvais même dire, en toute modestie, que j’étais plutôt expert en la matière. C’était le moment d’utiliser mon expérience, mais de l’autre côté. Le suivant qui m’aborda était plus maladroit. Il me suffit de refuser avec une moue dégoutée, balayant d’un geste hautain et d’une phrase assassine le péquenaud trop ambitieux. Sa mine déconfite me combla de vanité féminine. Décidément, avec ce corps, je pouvais tout !

Je dansai longtemps au milieu de la piste, le corps sous les projecteurs, faisant mine d’ignorer tous les rayons X des imaginations masculines qui me déshabillaient de toutes les manières. À cet instant j’aimais mon corps, réellement, j’aimais cette souplesse gorgée de vie, la tension physique qui résonnait dans mes hanches au rythme des basses, ma tignasse longue frottant mon dos, mes cuisses dévoilées, ma gorge gonflée dans la cage de mon corsage, cette impression d’être une sculpture parfaite dans un mouvement parfait ! Le pouvoir d’une femme à travers l’insouciance… Bien entendu, toutes les vingt minutes, je devais expédier un boulet qui s’imaginait avoir sa chance mais, plus les filles sont belles, plus elles intimident et plus elles ont le droit d’être méchantes, alors ce n’était pas bien difficile. La soirée s’étant avancée, alléchée par l’effort qui commençait à tendre mon désir, je sélectionnai de loin quelques belles carrures susceptibles de me satisfaire. L’homme s’imagine toujours qu’il décide, il ne se doute pas que, généralement, la femme l’a déjà repéré la première. À partir de là, quand on est bandante comme moi, ce n’est pas très compliqué. On se rapproche un peu, on jette quelques œillades à peine soulignées, on accentue les mouvements de croupes dans la direction souhaitée, et l’affaire est pratiquement faite. Le benêt accourt, se cassant la tête pour trouver une tactique d’approche, alors que la fille en est déjà à décider de l’endroit où elle va se prendre une bonne cartouche.

Bizarrement, mon premier choix tomba sur un type qui me ressemblait un peu, du moins dans ma version masculine. Jeune, pas trop laid, plutôt sûr de lui, avec de l’argent dégoulinant des poches. Seulement, quand il s’approcha, le sentiment de bizarrerie se mit à troubler mon envie. J’avais l’impression de me coller à mon propre reflet ! Une fois ramenée à sa table, je décidai finalement de l’éconduire et de me rabattre sur son ami, un grand type à la peau olivâtre et aux cheveux frisés, peut-être sud-américain ou moyen-oriental. Il portait une cravate en cuir noir et, quand il me fit danser, je me mis à jouer avec, le dos contre son torse. Je passai la cravate sur mon épaule, agaçant de sa pointe la naissance de mes seins, puis la glissai de tout son long entre mes lèvres ouvertes. L’homme prit mes hanches dans ses mains, les faisant basculer de droite et de gauche contre son bassin. Je me sentais menée et je me laissai faire. Quand la musique suivante s’enchaina, je me retournai et passai mes bras autour de son cou.

– Emmène-moi loin d’ici.

Il me ramena chez lui. Son appartement était le parfait piège à fille du mâle célibataire, au dernier étage d’un immeuble du quartier bohème à la mode, avec une belle véranda couvrant le grand balcon, un grand lit donnant sur la jolie vue, un bar et des enceintes placés à côté. Avec moi, cependant, ce genre d’attrape-papillons ne fut pas nécessaire. À peine arrivés dans le hall, l’homme me donna une claque aux fesses pour me faire entrer dans l’ascenseur et il profita que je me retourne vers lui, furieuse de ses familiarités, pour commencer à me prendre des baisers. Il s’empara d’abord longuement de la base de mon cou, puis remonta à ma bouche, et il ouvrit enfin mes lèvres pour y glisser sa langue. C’était étrange, de se faire embrasser par un homme. Au niveau des souvenirs, ça me dérangeait quelque part, un réflexe masculin se demandant ce que cette peau virile venait faire contre moi. Pour le reste, c’était fondant comme de la guimauve. Son torse qui me dominait, sa bouche décidée sur la mienne, sa main pressant ma taille, puis palpant mes fesses à pleine paume, son autre main venue malaxer mes seins directement, tout me plaisait beaucoup. Une fille qui se respecte ne se laisse pas traiter ainsi, sans doute, c’est entendu, mais je n’en avais rien à faire. Il pouvait me prendre pour une grue tant qu’il voulait, pourvu qu’il donne satisfaction à mon corps.

Une fois franchie la porte de son appartement, les choses s’enchaînèrent tellement vite que je plongeai dans des sensations de montagnes russes. Il fit zipper sa braguette et mena ma main sur son sexe. Pendant que je commençais à faire courir doucement mes doigts jusqu’à son gland bien gonflé, il descendit la fermeture éclair de ma robe et la fit glisser par terre. Il s’attaqua dans la foulée à ma culotte qui chuta rapidement sur mes chevilles. Le soutien-gorge n’offrit aucune résistance sérieuse à ses gestes habitués et, bien vite, mes seins offerts oscillèrent lourdement devant lui, libérés de leurs coquilles de dentelles. J’étais nue et il était encore habillé, avec juste l’outil sortit du fourreau, mais c’était le genre de soudard qui ne pense qu’à sa queue alors, pour lui, l’essentiel était fait. Il me souleva et me jeta sur le lit. Mise à quatre pattes, je me redressai et me retournai pour déboutonner sa chemise, mais, de son côté, il avait déjà pris mes hanches pour fixer la cible. Sa queue s’enfonça par surprise et me dépucela comme ça, sans crier gare. La douleur jeta un cri hors de ma gorge. J’avais tout l’entrecuisse crispé autour de son sexe et j’arrivais à peine à respirer mais, lui, il ne s’était rendu compte de rien et il avait déjà lancé le mouvement. Sa main me pris par la nuque pour me remettre en levrette et, dans les miroirs tapissant le mur à la tête de son lit, je me vis en train de rebondir sur son sexe, bien tenue à la taille, tirée sur sa bite à coups rapides. J’étais en colère et incapable de rien faire, à part pousser de petits cris ridiculement déchirés, en rythme, comme une joueuse de tennis sur un disque rayé.

Le plaisir commença alors à manger mes flancs. Sous les frottements, ça c’était mis à crépiter agréablement autour de son sexe, d’abord comme une toile de fond insidieuse, puis plus brutalement, devenant des lames délicieuses lançant leurs sensations jusqu’à ma gorge. À ce moment, je sentis bizarrement ma frustration augmenter encore. Non seulement l’homme tenait mon corps, mais il était devenu aussi le maitre de mon plaisir ! Je ne me contrôlais plus, j’étais réduite au rôle de femelle à monter. J’étais le trophée à couilles planté sur sa bite, le morceau de fille juste bon à subir, et cette passivité complète était exaspérante… surtout que je n’arrivais même plus à souhaiter que ça s’arrête ! L’homme pressa à ce moment-là un de mes seins dans sa main et la chaleur irradiante me fit basculer d’un coup dans l’orgasme. Je perdis définitivement toute dignité, souhaitant seulement en avoir plus, couinant à chaque nouvelle jouissance. Il me tenait maintenant par les cheveux et j’étais en entier le corps enrobant cet orifice dans lequel il défoulait son plaisir. Il y donnait ses coups, comme un bucheron, en plein dans ma chatte serrée d’envie, étroite comme un appel de chair à subir l’éclatement, et j’avais l’impression que ma bouche ronde, ouverte et hurlante, était en prolongement. Il éjacula en me laissant suspendue entre deux orgasmes, surprise et vidée par une nouvelle frustration et, quand son pénis s’éjecta de moi, je restai quelques secondes comme une poupée impuissante creusée d’un tunnel. Lui, il était déjà passé à autre chose, le corps allongé, parti immédiatement dans un sommeil solitaire. Épuisée de plaisir et de rage, je finis par m’endormir moi aussi, la tête lovée sur sa large poitrine, une main sur son torse, avec l’envie de planter mes ongles dedans.

Au petit matin, j’ouvris les yeux et fixai quelques secondes sa queue reposant sur son ventre, sortie du pantalon qu’il n’avait même pas pris la peine d’enlever. Le souffle régulier de sa poitrine indiquait le plein sommeil. Cela m’apaisa et me donna une sensation étrange de domination. Il était mon maitre hier, il était à moi ce matin. Je me mis accroupie et pris doucement le sexe entre mes doigts. J’avais envie de le sentir, de le gouter, je voulais encore qu’il m’occupe. Mes lèvres passèrent dessus. Je m’attendais à être un peu écœurée mais, au contraire, ça m’excitait. Je voulais qu’il bande, l’avoir dur dans ma bouche, et vibrant de plaisir sous ma langue. En relevant mes cheveux d’une main, et en tenant le chibre à la base de l’autre, je l’engloutis entièrement. Il avait la bonne taille et je me mis à glisser ma tête dessus, roulant ma langue sur l’ourlet de son gland. Il commença à gémir doucement du drôle de rêve que j’étais en train de lui procurer. Je pompai pour le faire gonfler encore et, pendant une minute, ma tête coulissa sur lui. J’aurai voulu continuer ainsi, mais j’avais d’autres démangeaisons. J’ouvris la bouche et, dans un claquement de salive, le sexe s’échappa. Je déboutonnai le pantalon et le descendit un peu sur ses hanches, puis je me plaçai à califourchon sur lui. Ce fut plus doux que la veille. Guidant la queue tendue entre mes cuisses, je l’introduisis délicatement en moi, profitant de chaque millimètre de friction caressante entre nos deux peaux. Cela me grattait divinement et la tentation devint forte de le faire aller au fond directement, mais je résistai pour faire durer le plaisir. Le premier mouvement de mon bassin fit doucement rebondir mes fesses sur ses cuisses. Je roulai alors lentement mes hanches, laissant la chaleur monter et se répandre dans mon ventre, grésiller peu à peu dans mes jambes et grimper jusqu’à ma nuque. Je repris ensuite un mouvement d’aller-retour, accélérant progressivement le geste, appuyée sur mes mains, ma croupe en offrande faisant le yo-yo autour de son pénis, légère, souple et tendue de plaisir. L’orgasme s’étala en moi, long et savoureux, m’arrachant un feulement. Mais je devais me contrôler, ne pas aller trop vite pour qu’il n’explose pas trop tôt. Les hommes comme lui ont si peu d’endurance… La jouissance me souleva jusqu’à un plateau et je me mordis les lèvres, retenant mes cris.

Il ouvrit les yeux lentement. Un sourire de macho traversa sa face quand il réalisa que je m’étais fourrée toute seule sur lui. Je posais mon index sur son torse pour qu’il ne bouge pas et il s’exécuta de bonne grâce, disposé à me laisser jouer à ma manière. Je guidai ses mains jusqu’à mes seins, qu’il se mit à malaxer en pinçant mes tétons juste assez fort, puis il fit glisser ses doigts le long de mes flancs pour aller câliner mes reins et mon dos, et pour jouer dans mes cheveux. Il avait la caresse douce et c’était bon. Il me fit coucher sur lui et m’embrassa. Toute ma peau était en feu et ses doigts qui frottaient dessus me donnaient l’impression d’être heurtée par des gouttelettes glacées, ce qui, paradoxalement, renforçait encore mon incandescence. Je n’étais plus qu’une brûlure, sous l’extase sans fin qui déclinait et rebondissait à chaque enfilade sur sa hampe pointée, pendant que mes cris s’étouffaient dans nos baisers de lave. L’explosion m’acheva enfin, bourdonnante et sourde, passant en moi en faisant trembler ma chair, et je poussai un soupir d’agonie. Voyant que j’avais eu ma part, il donna alors une grande claque sur mes fesses, empoigna ma croupe pour imposer son rythme et accéléra. Sa semence entra dans mon ventre quelques instant après, pour la seconde fois.

Étalée sur le lit, vibrante encore de plaisir, je me sentais à la fois mince et pleine. Il se leva, remballa d’un geste vif son engin, se fit un café et m’en prépara une tasse, qu’il laissa sur le plan de cuisine. De ce que je connaissais des hommes – et j’en connaissais tout de même un bout ! – c’était l’annonce de mon départ imminent. Je ne me trompai pas. Consultant son smartphone avec l’air nonchalant de celui qui est déjà passé à autre chose, il demanda malgré tout mon numéro. Je savais bien que c’était juste pour me ranger dans le répertoire « coup d’un soir, pour se vider les roupettes ». Pas vraiment enchantée à l’idée qu’il me rappelle pour passer commande comme si j’étais une pizza, je tapai sur son clavier des chiffres sortis de mon imagination. Une fois son téléphone rangé, il passa sa main sur mon cou et m’embrassa sur la bouche, presque machinalement.

– Désolé, hein, mais j’ai un emploi du temps de ouf, je ne te raccompagne pas. …

Il me planta là, toujours nue, pour aller prendre sa douche. Une fois l’homme repu, la fille n’est qu’un paquet dont on se débarrasse, en somme, et vive la galanterie ! Un peu rageuse, mais pas surprise, je m’habillai rapidement. Cet idiot n’avait même pas remarqué la petite tache de sang, sur les draps.

Une fois dans la rue, je me trouvai un peu honteuse, dans ma mini moulante bien décolletée, sur mes talons de noceuse, laissant facilement deviner aux passants du matin le genre d’agitation qui avait creusé ma nuit. Rentrée chez moi, je passai longuement mon corps de femme au bain. J’aimais la fermeté gélatineuse de ma chair sous mes doigts si agiles. Calmée par l’eau, encore humide, une simple serviette autour de mes reins, j’allai m’asseoir dans le salon. Je retirai enfin la bague et mon corps d’homme revint à moi, avec l’existence que j’avais toujours connue.





La vie telle qu’elle est



Je passai le reste du week-end dans mon corps masculin. L’intensité de mon aventure en femme m’avait troublé et j’avais besoin de retrouver mes marques. Je n’avais jamais connu de tels plaisirs et, rétrospectivement, même les moments d’humiliation m’excitaient.

Lundi, les choses semblèrent reprendre leur cours habituel. Sonia soufflait toujours le chaud et le froid. La prospection avait changé ses objectifs et tout était à refaire pour la quatrième fois. Là, c’en était assez, et je décidai de mettre tout cela au clair une bonne fois pour toute. De manière générale, je ne suis pas du genre casse-cou. Je n’ai jamais compris les gens capables de jouer toute leur existence sur un simple coup de dé. Pourtant, seul dans le grand couloir qui menait à la direction, je fus saisi de l’envie de prendre un vrai risque. C’était un peu fou, comme une intuition, un geste qu’on s’oblige à faire sans réfléchir. Je repassai la bague à mon doigt.

Après tout, ici aussi, ma vie féminine et ma vie masculine devait être en écho. J’avais donc en femme le même poste qu’en homme, et aussi les mêmes problèmes à résoudre. J’arrivai dans le bureau directorial en executive women, tailleur court, escarpins à talon, collants, chemisier déboutonné jusqu’à la naissance de ma poitrine, mes seins pointus devant moi relevés dans un soutien-gorge qui les laissait flotter ce qu’il faut, maquillée, coiffée d’un chignon libérant une mèche le long de mon visage, mon regard encadré de grandes lunettes sévères donnant de l’autorité à mes traits de jeune fille. Ce que je n’avais pas prévu, c’est que Carl Dancort, le patron de l’entreprise, se trouvait à ce moment-là avec mon directeur de pôle. Il apprécia à sa juste valeur le pur fantasme qui arrivait devant lui. Je l’avais déjà vu, une fois, jeter ce genre de regard circulaire, détaillant la fille de haut en bas, se laissant le temps d’apprécier, et jouant des secondes qui passent pour déstabiliser la femme, qui se savait reluquée mais était pourtant bien obligée de se tenir coite devant son chef. Bien entendu, lorsque j’en avais été témoin, j’étais un homme, j’étais assis tout au fond, derrière trois supérieurs hiérarchiques et j’en profitais comme les autres pour observer sans retenue la jolie plastique, en me délectant aussi, il faut bien l’avouer, du petit air colère et gêné de la donzelle. Cette fois, j’étais du côté du gibier. Prise de court, j’adoptai une pose légèrement cambrée, allongeant le pied, laissant bomber ma poitrine et passant une main dans mes cheveux avec mon air le plus naturel. Je m’attendais à ce qu’on me congédie du bureau, pour me faire revenir une fois réglées les affaires de grandes personnes, mais, au lieu de cela, on me proposa de m’asseoir. J’en profitai pour croiser bien haut mes jambes, glissant mes doigts sur mes cuisses, laissant légèrement pivoter le fauteuil pour enrichir la vue. Je posai alors innocemment mon regard dans les yeux de mon directeur, essayant d’ignorer le grand patron à côté, et je commençai à me plaindre des incompétences de la prospection.

Derrière mes tactiques de fausse ingénue, qu’est-ce que j’espérais ? Honnêtement, avant d’entrer ici, je n’y avais pas réfléchi. Je voulais me faire mettre comme une salope, sur un bureau, là, tout de suite ? J’espérai m’en tirer en jouant gentiment les allumeuses ? Ou chouiner un peu pour faire pitié ? En fait, je ne le savais même pas. Je me laissais juste porter par un instinct de pin-up. Les deux hommes m’écoutèrent, le directeur calquant visiblement son attitude sur celle du patron. Ce fut Carl Dancort qui me répondit.

– Si nous en discutions au déjeuner ? Vous êtes mon invitée bien entendu.

Il avait une réputation robustement établie de coureur de jupons et je devinais bien comment j’allai finir. Ça ne faisait pas vraiment mon affaire, d’ailleurs. J’avais tout misé sur le culot, mais j’avais tout de même pensé reprendre mon corps d’homme, une fois sortie de là. Son invitation m’obligeait à continuer à jouer les femmes au travail et, bien sûr, il était trop tard pour reculer. Avec ce genre de patron, « non », c’est une réponse qui sent le chômage. J’acceptai donc, avec sur mon visage l’expression adéquate, un petit mélange de fausse timidité, de fausse surprise et de faux ravissement.

Passer au bras du patron devant tous les employés était gênant. Carl ne faisait jamais aucun effort pour dissimuler ses conquêtes et cela lui avait d’ailleurs coûté quelques mariages, à ce qu’on disait. Tous mes collègues devinaient maintenant que le chef des chefs allait s’envoyer la jeune et jolie cadre ambitieuse, c’est-à-dire moi. Les femmes dissimulaient leurs réactions, mais ce n’était que partie remise, je ne l’ignorais pas. Elles m’écharperaient ensuite à loisir, à la machine à café, en me traitant de petite pute et autres noms de volaille, tout à la fois méprisantes et envieuses de ma jeunesse et de ma beauté. Les hommes étaient bien plus spontanés, et je pouvais presque voir la jalousie sur leur visage. Ils se rêvaient tous à la place du boss, bien entendu. Ce petit succès me remplissait d’un orgueil dont j’avais un peu honte, un orgueil de belle fille, confusément plaisant, et qui me dissuada de reprendre mon corps masculin pour me sortir de là.

Le grand moment, ce fut le passage devant le guichet de l’accueil. Le regard de Sonia sembla exploser pendant une fraction de seconde, avant qu’elle reprenne son stupide sourire professionnel. Involontairement, elle glissa même les yeux sur mon décolleté et juste après, elle passa sa main sur son épaule, comme pour masser une douleur. Elle était jalouse ! Doublement jalouse, même, si j’en croyais mon intuition féminine. Elle devait avoir des vues sur les hauteurs et espérer intéresser un type haut placé. Alors, là, se faire chiper sous son nez le mâle dominant du troupeau, ça devait la faire enrager ! Bien entendu, ce n’était qu’une hypothèse de ma part, mais cela correspondait si bien à ses airs de petit prédateur dévoré d’ambition. Par là même, ses dérobades devant mes avances masculines s’expliquaient naturellement : j’étais bien trop bas dans la hiérarchie pour l’intéresser. Son autre jalousie était encore plus féminine. Sonia avait une adorable petite poitrine, menue et délicate, mais elle avait visiblement des complexes, ravivés par la vue de ma gorge bien développée. Même les plus belles femmes peuvent se sentir laides et Sonia se sentait certainement laide à cet instant. J’étais somptueusement vengé, ce moment à lui seul me payant largement des petits affronts qu’elle n’avait cessé de me faire subir.

Au restaurant, la main que Carl posa sur ma cuisse m’indiqua que les choses n’allaient pas trainer pour moi. Même si je n’étais pas sur la carte, j’étais bien au menu ! Je le laissai faire avec un sourire coquin. Inutile d’être plus compliquée que ça, avec lui. Juste après, il me niqua à l’hôtel. Une cravate de notaire entre mes seins, un missionnaire, puis il m’éjacula sur le cul. Ce n’était pas désagréable, même s’il n’avait pas su me donner d’orgasme. J’avais simulé tout de même, bien entendu.

Une fois de retour dans mon bureau, les problèmes avec la prospection s’étaient réglés comme par magie. Je baissai les persiennes, fermai à clé, puis enlevai la bague de mon doigt, redevenant un homme. Le soir, au moment de partir, je repassai vers Sonia. Je la sentais en plein désarroi, bien qu’elle le cache soigneusement sous sa séduction coutumière. Ainsi, même si la femme qui l’avait rendue cocue avait disparu de ses souvenirs, l’effet restait tout de même, et c’est ce que je trouvai formidable avec ces transformations. Je pouvais avancer mes pions de deux manières, et je conservais les bénéfices d’une vie à l’autre ! Pas du tout gentlemen, mais on ne se refait pas, je profitai du besoin pressant de Sonia de se sentir désirable pour enfin conclure avec elle. La nuit d’amour fut époustouflante, pour moi comme pour elle. Je crois que je n’avais jamais si bien fait jouir une femme. Mes expériences récentes n’avaient certainement pas nuit à mes techniques d’amant, bien au contraire.

Pendant la nuit, alors que je me laissais bercer par le souffle apaisé du sommeil de Sonia, je me posai pour la première fois la question de ma nouvelle vie. Ma variante féminine n’était plus seulement une distraction, un plaisir un peu sale sorti d’un recoin de mes fantasmes. Elle s’était déjà installée comme une composante à part entière de mon existence et je devais décider quoi en faire. J’étais pleinement satisfait de ma vie d’homme, du moins je le croyais jusqu’à présent, mais ce corps de femme vibrait d’un je ne sais-quoi plongeant ses racines au plus profond. Il portait une satisfaction tranquille, un mélange de passivité et d’audace, de calme et de passion, de faiblesse et de puissance. Je n’avais jamais connu ça et je voulais en avoir plus.

Les semaines suivantes, j’allai la plupart du temps au travail en femme et j’étais devenue le coup journalier du grand patron. C’était un peu honteux, pour moi, mais ça restait supportable. La plupart des femmes me haïssaient, bien entendu, et j’avais droit aux regards en coin et aux allusions derrière mon dos. Pour elles, j’étais la petite catin qui triche avec les règles, celle qui galvaude le pouvoir des femelles en écartant les cuisses trop facilement. Les moches m’en voulaient d’être belle, et les belles claironnaient que ma conduite était bien moche… Je faisais avec et, de toute façon, j’étais le genre de fille qui sympathise plus facilement avec les hommes. Je savais les exciter juste ce qu’il fallait, sans aller plus loin, et j’avais cette franchise pas bégueule de la fille qui ne fait pas de manière. Les types n’avaient pas à surveiller leurs blagues ou leurs façons, avec moi. J’étais ce genre de fille couillue, plutôt pote de chambrée que poupée de fille et, ça, c’est un truc que les mecs apprécient toujours sans arrière-pensées. Bien entendu, ils bavaient un peu sur moi et me mataient le matos sous toutes les coutures, mais ils n’allaient jamais plus loin. De toute façon j’étais labellisée « chasse gardée du patron » et ça m’évitait les approches des gros lourds et les tentatives des chefs plus gradés que moi.

Les quelques fois où je vins travailler sous ma forme masculine, je découvris que les choses s’inversaient. Depuis ma première métamorphose, les femmes se rapprochaient de moi, elles se laissaient plus facilement aller aux confidences et à la vulnérabilité, sans pour autant – et heureusement ! – me ranger dans la catégorie des mecs inoffensifs. Comme si j’avais avec elles une connexion, une forme de confiance spontanée qui pouvait s’installer tranquillement. Avec les hommes, au contraire, les choses s’étaient un peu tendues. Ils étaient un peu plus agressifs et ils me tenaient plus à l’écart. En revanche, sous les deux apparences, le patron m’avait à la bonne. En femme, bien sûr, cela s’expliquait par des raisons évidentes. En homme, en revanche, personne ne parvenait à comprendre pourquoi j’étais cette sorte de chouchou à qui tout semblait permis. Carl lui-même ne devait pas avoir la moindre idée de ce qui provoquait en lui cette sympathie à mon égard.

Sous ma forme féminine, cependant, je ne lui laissais pas la moindre chance d’avoir le moindre doute à ce sujet. J’avais les atouts qu’il faut, et d’abord la jeunesse et la beauté, bien entendu. C’est la base, pour la dresser chez un mec. Cependant, la carrosserie ne fait pas tout. Bien vite, c’est la manière de faire reluire les chromes qui prend le pas et, de ce côté-là, j’avais trouvé la technique pour que l’aiguille monte chez mon amant. Les créatures de collection comme moi ont chacune leur style. Il y a les mystérieuses, les silencieuses, les capricieuses, les sévères, les précieuses, les innocentes, les beautés éraflées… Moi, je faisais dans le simple et dans l’efficace : j’étais gourmande. Il avait le droit de m’enfiler parce que j’aimais ça et il pouvait essayer des trucs avec moi parce que j’étais curieuse. Il y avait cet égoïsme de fille qui veut sa part, chez moi, qui lui plaisait beaucoup. Pour autant, je n’étais pas de ces automates à baise qui passent en mode combustion dès qu’on leur met la main au cul. C’était plus doux. Carl avait appris à prendre son temps et j’appréciais. Je n’avais pas toujours des orgasmes, avec lui, mais ça m’arrivait tout de même et ça me suffisait. En retour, je faisais tout mon possible pour me rendre excitante et pour lui faire perdre la tête en prévenant tous ses fantasmes. De ce côté-là, j’avais de la matière : plus qu’aucune autre fille, je savais ce qui traverse la tête d’un homme et je connaissais la façon de jouer avec leurs gouts. Je collais à Carl des triques d’anthologie et il était si fougueux que je finissais parfois par m’inquiéter pour sa santé. C’est que j’avais même fini par avoir de la tendresse pour cet amant pas très jeune, pas très beau, mais très riche et complètement à mes pieds.

Bien entendu, au travail, les choses étaient plutôt expéditives. Une petite tringlette rapide sur son bureau, ou une pipe pour soulager la tension. Mais Carl n’était pas homme à se contenter du vite-fait bien-fait. Pour son âge, il en avait encore dans le caleçon et, deux ou trois fois par semaine, nous nous retrouvions à l’hôtel. Là, c’était la fête des fantaisies, la lingerie, le déguisement et le jeu qui se prolonge. Ça m’amusait. Nos cinq à sept s’étiraient en agaceries peau contre peau et, à ma grande surprise, je préférais presque les fois où je frôlais la jouissance sans basculer dedans. Le plaisir me tendait alors, plus étalé, sans me rompre, et je me sentais encore plus féminine, en pleine possession de moi-même.

Ce que j’adorais, c’était le côté mondain que Carl Dancort me faisait découvrir. Je venais d’un bon milieu bourgeois mais Carl, lui, il évoluait dans la vraie richesse. Attention, il ne faut pas croire que ces gens sont différents du commun des mortels, ils ont juste plus de serviteurs. Cependant, le côté clinquant me plaisait, ça me donnait l’impression d’avoir un prix. Ce corps de femme était décidément étrange ! Avec lui, j’appréciai des choses qu’en temps normal j’aurai trouvé parfaitement humiliantes. Carl avait des amis au nom prestigieux et il m’amenait souvent dans de grandes réceptions ou dans des soirées plus intimes, mais pas moins select. Nous allions à des vernissages ou à des premières. Il avait table ouverte dans les restaurants les plus inabordables et parfois, le week-end, nous nous retrouvions dans des châteaux en pleine campagne, pour des chasses. Bref, Carl me sortait beaucoup et, il s’en cachait à peine, il me montrait comme on exhibe un butin. La maitresse hors de prix, ça va avec la jolie voiture, le bel appartement et la grosse fortune : ça vous place un homme. Il me fallait être belle et plaisante, précieuse, brillante comme un bijou, avec ce je-ne-sais quoi d’affolant mêlé d’inaccessible qui fait les femmes marquant les imaginations masculines. Bien entendu, sauf à faire passer Carl pour un éleveur en viande tout juste revenu du marché aux putes, il fallait aussi que j’ai des manières, et que j’en porte pour cher sur les fesses. Pour les manières, ma maman m’avait bien appris, et, pour les robes et le reste, Carl m’avait ouvert des comptes dans quelques boutiques si chics qu’elles se dispensaient même d’afficher les prix ! Je n’ai jamais demandé combien valait tout ça, mais je crois bien qu’il y en avait pour plus onéreux de vêtement que de fille, sans compter les chaussures, les bijoux, les coiffeurs et les instituts de beauté…

J’emmenais souvent Tiphaine là-bas, lors de nos virées shopping. Au début, c’était seulement pour l’impressionner un peu, mais je découvris vite que ma sœur avait un gout très sûr. Elle me guidait de ses conseils et elle avait l’œil pour me mettre en valeur. Moi, j’étais loin d’être rompue aux finesses féminines, dans ce domaine, et j’avais toujours tendance à vouloir forcer les effets. Tiphaine m’apprenait à être plus subtile. Les bras chargés de paquets, nous prenions ensuite une collation dans un de ces cafés élégants des beaux quartiers, et nous parlions de tout. Je voyais ma sœur sous un autre jour. C’est vrai qu’en tant que grand frère, je la traitais un peu de haut. C’était la fille des moments geignards, la paumée venant chercher mon épaule après les catastrophes. Maintenant, Tiphaine m’en disait plus et, surtout, moi, j’étais d’avantage disposée à l’écouter. Là où auparavant je balayais ses histoires d’un définitif « problème de gonzesse qui se complique la vie pour rien », je commençais à réaliser que les choses avaient plus d’épaisseurs, et que ma sœur prenait en compte des aspects dont ma version masculine ne voulait pas entendre parler. J’avais un peu l’impression de me promener dans les coulisses d’une pièce de théâtre, découvrant la machinerie derrière le décor. Au-delà de ça, la principale différence avec ma version masculine, c’est que désormais j’étais capable de me passer de solutions définitives. En homme, je voulais trancher dans le vif, avancer sur un point désigné à l’avance, si possible sans perdre mon temps à explorer les bas-côtés. Je découvrais qu’une femme est capable de porter plus de patience, et même peut-être plus d’ouverture. Je pouvais maintenant me contenter d’écouter un problème sans chercher à le résoudre, je pouvais m’ouvrir aux choses et pourtant laisser les choses en suspension. Tout n’avait pas besoin d’aboutir.

Le soir, une fois seul chez moi, je reprenais toujours mon corps d’homme. J’avais besoin de me retrouver et je laissais les heures s’écouler, calmes, un peu comme celles d’un lendemain d’ivresse, quand les choses qu’on a faites étaient trop belles, trop rapides, trop extraordinaires, si extraordinaires qu’elles ont fini par nous épuiser. La satisfaction entière de ce corps féminin, ma jeunesse vive et mes aventures, quelque part, tout ça me dépassait. Parfois, le silence intérieur s’imposait comme un besoin. Un silence solitaire, dans mon vrai corps, avec moi-même. J’aimais alors me poser seul devant la glace et, devant mon image d’homme, comme en dialogue avec elle, je faisais le bilan.

À certains moments, j’avais l’impression d’une contamination. Je craignais que la féminité gagne en moi, petit à petit. En y réfléchissant plus soigneusement, je réalisai que ce n’était pas vraiment ça. Il y avait le pour et le contre, bien entendu, mais je ne comptais nullement virer girly-choupette, pour devenir une pétasse acidulée obsédée par elle-même. Essentiellement, je restais un homme et rien ne changeait ça. Je gardais ma manière de voir la vie, j’avais toujours la même façon d’avancer, même si je trouvai agréable et intéressant de m’ouvrir à l’autre côté et d’apprendre d’autres façons de faire. Il y avait du bon à prendre et j’étais ravi de pouvoir en profiter, mais ça n’allait pas plus loin que ça. Seulement, il y avait tout de même quelque chose qui m’attirait, dans ce corps de femme, quelque chose d’indéfinissable qui dépassait tous les arguments visibles. Comme un lien qui se faisait sans que je le décide. Au début, ça m’avait fait un peu peur, et puis j’avais finalement décidé que tout ça n’était pas vraiment sérieux. On pouvait tourner les choses dans tous les sens, la féminité n’était rien de plus qu’un jeu, pour moi, un jeu de rôle étonnamment réel, plein de surprises et d’expérience, mais il aurait été stupide de le considérer autrement. Ce corps de femme, en fait, c’était un peu la visite d’un magasin de jouets, à Noël, quand on est enfant, et c’était tout. Et c’est vrai que je m’amusais beaucoup, en jolie fille. Aussi, le matin, au moment de choisir mon corps, mes envies de femme prenaient de plus en plus souvent le dessus et je me disais avec insouciance, que, pour les plaisirs d’homme, ce n’était que partie remise.

Le week-end, quand Carl ne m’invitait pas quelque part, j’en profitais d’ailleurs parfois pour retrouver mes amis, et m’amuser un peu en garçon. J’avais eu à plusieurs reprises l’opportunité de conclure, depuis Sonia, et ça c’était toujours fait avec une étonnante facilité. Mon sex-appeal de mâle avait incontestablement gagné en vigueur. J’étais devenu le type qui les intéresse, sans même avoir à faire d’effort. Jusqu’à présent je ne pouvais pas me plaindre de mon score dans ce domaine, mais là, la conquête devenait indécente de facilité ! D’un regard, d’un mouvement d’épaule, d’un geste vers elles, je les voyais fondre et je devinais pour en avoir eu de semblables les idées qui passaient par leurs jolies têtes. Je n’avais plus qu’à relever la ligne, déjà certain du résultat. Mon assurance faisait beaucoup, c’est vrai. L’homme en doute n’a pas les mêmes attraits. Je savais les moments de bavardages innocents, et les moments de séduction. Je savais placer mes mains sur elles, pour les déstabiliser sans qu’elles se sentent pour autant menacées. Je savais quand les embrasser, quand forcer leurs gestes, et à quels moments, au contraire, il convenait de leur laisser l’impression de tout diriger. Je savais fouiller leurs corps pour y cueillir la jouissance. Je savais aussi les quitter sans qu’elle se sentent utilisées, tout en leur signifiant qu’il fallait ranger notre aventure dans la catégorie des plaisirs sans lendemain. Je crois que tout cela ne venait pas uniquement de ma connaissance intime des mouvements féminins. Les femmes ne sont pas plus infaillibles que les hommes, après tout, et elles commettent des maladresses tout autant. Il y avait plus que ça, en moi, comme si la bague m’avait donné une manière supérieure d’aborder ce genre de choses, une façon de déchiffrer les autres, les hommes tout comme les femmes. Quoi qu’il en soit, c’était redoutablement efficace. Les filles en parlaient entres elles et j’étais devenu le sex-toy qu’elle rêvaient toutes d’expérimenter. Mes copains en riaient, d’ailleurs, me demandant le secret de mon fluide. Ceux qui étaient en couple auraient un peu moins rit, s’ils avaient surpris les regards que me lançaient parfois leurs compagnes, mais je me gardai soigneusement de braconner sur ce terrain-là.

À l’inverse, une fois, j’avais fait l’expérience de retrouver mes amis dans mon corps féminin. Je m’étais rendu compte que ça ne changeait pas les choses tant que ça – sauf en ce qui concernait leurs copines, bien entendu, qui me rangeaient immédiatement dans la catégorie « salope à surveiller ». Mes amis me draguaient tous un peu, comme on tourne autour d’une vieille copine mais, pour le reste, c’était assez semblable à ce que je vivais avec mes collègues. Une camaraderie presque masculine, assez libre et décomplexée, en un peu plus intime.

La plupart du temps, cependant, je passais mes moments de liberté seul, et les choses étaient alors un peu plus sérieuses. Je sortais en fille, arpentant les rues en chasseuse d’homme. C’était innocent, spontané, et délicieux : j’avais des envies collectionneuses, des envies de sensations et d’expérience. Les plaisirs de ce corps pouvaient être si intenses… Les mecs, je les prenais noirs, blancs, jaunes ou mélangés, seuls ou à plusieurs – et trois types dans la force de l’âge, chacun pistonnant son plaisir par un bout de mon corps, je peux dire que ça secoue sévèrement un petit cœur de fille. J’essayai même avec d’autres femmes mais, étrangement je n’aimai pas plus que ça. C’était sexy, c’était excitant, et j’avais du plaisir, mais c’est comme si une frustration restait toujours en moi, comme si les choses ne pouvaient pas aller à leur terme, parce que je ressentais jusque dans ma chair l’absence de mon pénis d’homme pour conclure notre jouissance. En revanche, à deux filles sur un mec, j’adorais. J’aimais aussi beaucoup jouer le double, à quatre pattes, un homme dans la bouche et un autre par derrière. Je me sentais aux commandes et possédée en même temps, féminine sur toute la longueur et traversée par leur virilité. C’était de vrais moments d’extase. De manière générale, j’aimais les exciter, j’aimais m’habiller sexy, j’aimais leur contact contre moi, leurs sexes d’où jaillissait leur plaisir. J’aimais qu’ils me mènent et m’emmènent, j’aimais aussi, parfois, qu’ils soient de petites choses à mes ordres. J’aimais leurs amours sans lendemain, leur faim spontanée et les passions de leurs corps. En revanche, je n’aimais pas la violence. Une bonne poigne virile, oui, une belle carrure de bête qui me donnait l’impression d’être une toute petite enfant, ça avait son charme. Mais pas la vraie brutalité. Être attachée et traitée en bonniche du cul, ce n’était pas mon truc. J’étais une fille facile, c’est entendu, et il ne m’en fallait pas beaucoup en termes de parade amoureuse, mais tout de même, je n’étais pas leur pute. De l’autre côté, en domina non plus je ne trouvais pas ça terrible. J’aimais trop le plaisir qu’ils me donnaient pour faire du mal aux hommes…

En somme, tout allait bien pour moi, et même mieux que ça. Carl appréciait ma discrétion de fille autonome, qui sait réclamer avec parcimonie et notre aventure s’installait progressivement dans la durée. La seule chose qui me chagrinait, tout de même, c’était que mon homme était un vrai macho. Passe encore qu’il fasse des écarts avec d’autres filles, je n’étais pas vraiment en position d’être jalouse, mais il avait toujours cette façon de me traiter comme une gamine chaque fois que nous abordions un sujet sérieux. Cette manie de m’expédier d’une tape aux fesses et son sourire paternel, dans ces cas-là, qu’est-ce que ça m’énervait ! Mais bon, je prenais soigneusement sur moi, parce qu’une fille qui couche pour réussir n’est pas là pour faire des caprices. Et sur le plan de ma réussite professionnelle, justement, les choses semblaient vraiment prendre tournure.





Le monde des hommes



– Tu connais les frères Gritchine, n’est-ce pas ? Ils m’ont invité pour une croisière sur leur nouveau yacht. Tu verras, ça va te plaire. Ces gars-là savent vraiment s’amuser ! Et puis, nous pourrons en profiter pour discuter tranquillement de ta promotion. Qu’en dis-tu ?

En guise de réponse, j’allai m’asseoir sur les genoux de Carl, agaçais un peu son visage en l’encombrant des froissements de ma longue chevelure permanentée, puis je dépoitraillai ma gorge splendide et lui taillai une bonne petite pipe, mixée d’une cravate de notaire, comme il aimait !

Je connaissais les frères Gritchine, bien sûr. Leurs noms s’étalaient régulièrement dans la presse, ils avaient fait fortune dans les nouvelles technologies et c’était de ces milliardaires à sang froid tout entier consacrés à arrondir leur magot, quand ils n’esbroufaient pas la jet set avec leurs fantaisies hors de prix. Du moins, c’est ce qui en était dit. Cette fois, j’allais vraiment jouer dans la cour des maitres du monde et je décidai pour l’occasion de remettre tout mon équipement à neuf lors d’une sévère séance de shopping ! Quand je lui parlai du voyage, Tiphaine fit la moue, parce qu’elle aurait voulu venir aussi. Je me tâtai un peu mais, finalement, je jugeai plus prudent de ne pas demander à Carl de l’emmener. Nous n’étions pas encore dans ce genre d’intimité-là, avec mon amant, et j’avais peur de l’effrayer en faisant entrer ma famille dans notre relation.

Le jour prévu, nous arrivâmes en hélicoptère sur un yacht aux dimensions indécentes, un monstre posé sur la mer, effilé comme un couteau, noir, rutilant, ouverts sur les flancs de cinq ponts et terminé à l’arrière par une plate-forme creusé d’une grande piscine ! En voyant ça, j’éclatai de rire. Transporter une piscine en plein milieu de l’océan ! Mais Carl me regarda comme si ça n’allait pas bien chez moi et je ravalai tout de suite mes idées de plaisanteries, tout en faisant un peu la tête quand même parce que, d’habitude, mon amant n’était pas si dur avec moi. Je m’étais attendue à ce qu’on nous donne une cabine pour couple, mais nous nous retrouvâmes dans deux parties du bateau différentes. La cabine de Carl avait de l’ambition, c’était presque une mini-suite, chargée de dorures et de décorations. Moi, on m’avait attribué une cabine de dimension bien plus modeste, quoique confortable. Je réalisai vite que toutes les filles de la croisière étaient rassemblées dans cette coursive. C’était un peu le sérail, alors que les hommes avaient les parties plus luxueuses de l’avant. Je ne songeais pas à me plaindre, bien entendu, mais le côté « enclos pour le bétail » me dérangeait tout de même un peu.

Une fois nos bagages défaits, nous nous retrouvâmes tous dans le grand salon, pour que les convives puissent se rencontrer. Il y avait là beaucoup trop de messieurs riches, et beaucoup trop de jolies filles, et je commençai à réaliser que ce n’était pas réellement une croisière qui m’attendait, mais plutôt un séjour en lupanar flottant pour gros plein de fric. Les hommes se connaissaient presque tous, et les filles se découvraient pour la plupart, sauf quelques-unes, plus habituées. Elles étaient jeunes et elles étaient belles, elles avaient le rire trop facile et la peau trop nue. Mais elles jouaient l’innocence à la perfection. C’était des putes du beau monde et elles savaient se tenir… tout comme moi, en somme ! Quand même, j’étais gêné de me retrouver parmi elles.

Au soir, alors que la fête battait son plein dans la boîte de nuit – car oui, ce yacht avait même une boite de nuit ! – nous nous étions retrouvées à nous refaire une beauté, en ligne devant le miroir des toilettes pour femmes, caquetant de choses et d’autres. En les regardant, je réalisai pour la première fois ce que j’étais en train de devenir. Faire la catin avec un homme, comme un jeu, comme un passe-droit qui permet d’emprunter quelques raccourcis, c’était une chose. Mais là, j’avais vraiment l’impression que nous avions toutes une étiquette accrochée sur nous, avec le montant marqué dessus. Nous étions certifiées grand luxe, et avec ça professionnelles au point de faire comme si de rien n’était ! Mais ça ne changeait rien, au fond nous n’étions que des prostituées. La seule différence avec nos sœurs tapineuses, c’est que nous arpentions un bout d’océan et pas un bout de trottoir. À cet instant, je faillis repartir dans ma cabine, enlever la bague une bonne fois pour toute. À nouveau, la griserie de mon corps féminin m’en empêcha. J’aimais tellement être belle et exciter les hommes. L’idée d’épingler un milliardaire à mon tableau de chasse m’amusait beaucoup, et puis il y avait la promesse de la promotion. Après tout, se faire acheter, c’était un peu comme une expérience… Je retournai finalement danser.

Je me donnai à fond, allumant sans pitié les désirs masculins, à coups rebondis de hanches et de poitrine, aimantant leurs fantasmes en les aspirant comme des proies dans mes ondulations saccadées. En réalité, je me dépensais beaucoup pour ne plus réfléchir et puis, putain pour putain, je voulais que mon homme en ait pour son argent. En fin de nuit, ivres de musique et d’alcool, les corps des hommes et des femmes se mélangèrent. Nous n’étions plus qu’une poignée et les filles qui restaient commencèrent à se dénuder, tout en continuant à suivre la musique avec frénésie. Les seins jaillirent et s’entrechoquèrent en rythmes anarchiques, sans retenue, comme pris dans la folie d’une danse nègre. Les fesses tournaient et les fentes se dévoilaient au détour d’une cuisse. Quand les mâles coincèrent la première fille, elle eut l’air un peu stupide, comme si elle se demandait ce qui se passait mais, dans un tourbillon d’encouragements masculins, elle cessa de se débattre et ils l’enfoncèrent de partout sans qu’elle réagisse. Puis ce fut le tour des autres. Ils attrapaient le moindre bout de chatte à portée de main et s’engouffraient aussi sec dedans. C’était de la partouze sauvage, corps contre corps, les pénis se fourrant dans les trous la plupart du temps au hasard. Après un moment de flottement, bien disciplinées, les filles se mirent à hurler leurs faux orgasmes. Carl s’envoya une belle noire avec des seins plus gros que les miens, qui suçait au même moment un autre type. Pendant ce temps, un Slovaque de 120 kilos s’en était pris à moi. Je m’étais mise un peu à l’écart, reprenant mon souffle, un peu effrayée de la tournure des évènements. Il me tomba presque dessus. J’avais déjà la poitrine à l’air, alors il arracha seulement ce qui restait, déchirant ma culotte malgré ma main accrochée dessus. En même temps, il me tirait en arrière puis me repoussait en avant, et parvint finalement à me faire basculer au sol, sur le bord de la piste. Il s’étala sur moi avant que j’aie pu me relever. Il se mouilla le bout de la bite d’un peu de salive et, en me tenant bien, il frotta mon cul. Son gland colla mon anus, puis s’enfonça ! Prise de spasme, j’étouffai mon hurlement. Heureusement, j’avais bien trop bu et j’étais presque groggy. Même la douleur était cotonneuse et, sous l’effet de l’alcool, de drôles d’idées passaient dans ma tête. Par exemple, je faisais attention à ma manière de me mordre la lèvre, pour ne pas crier comme une vulgaire conne passée au viol. J’avais le visage tout rouge et la respiration presque coupée, mais tout de qui me préoccupait, c’était de savoir si mon rimmel était vraiment chiale-proof. Le mec me poissa le trou et essuya ensuite sa bite sur mes fesses, tapotant ma croupe, tout satisfait. C’était le genre qui voulait que ça fasse mal, le genre qui sent le pouvoir de ses couilles uniquement lorsqu’il casse une fille, parce qu’au moins, un cri de douleur, c’est plus vrai qu’une simulation de plaisir. En repartant de là, nue et le popotin bien douloureux, je réalisai qu’il n’avait pas mis de capote. Jusque-là, à part la toute première fois, j’avais toujours exigé de mes amants qu’ils en passent par le latex. Mais qu’importe, j’étais bien trop fatiguée pour seulement penser à me mettre en colère.

Au matin, sortant de ma cabine et faisant la queue devant les salles de bain, je regardai les filles, la belle noire à gros seins et quelques autres qui y avait eu droit la veille. Elles parlaient de tout et de rien, surtout de rien, passant sous un soigneux silence les détails et les moments gênants. Pas de plaintes, pas de récriminations, pas même l’évocation de ce qu’elles avaient fait, et de ce qu’elles avaient laissé faire. Elles parlaient comme on papote avant d’aller au travail, tout simplement. Et pour elles, le travail, c’était les hommes.

L’atmosphère de la croisière était vraiment étrange. Nous vivions dans le luxe. Les jours passaient en fêtes, en cocktails, et en dorades au soleil sur les transats du pont. Les filles recevaient des cadeaux et les escales étaient des sorties shopping où elles extorquaient des hommes tout ce qu’elles pouvaient. Cela faisait entre nous comme une émulation, et chaque bijou, chaque robe, chaque paire de chaussures pouvait être l’occasion de se montrer aux autres en se vantant de la prise. Bien entendu, nous n’évoquions jamais ce qu’il avait fallu accepter pour mériter la babiole. Cependant, il faut reconnaitre que la plupart du temps les hommes se comportaient bien avec nous. Nous avions facilement l’illusion d’être de vraies femmes, traitées normalement, et même un peu mieux que ça. Les choses étaient seulement un peu tronquées, parce que notre « oui » était déjà négocié, mais on évitait poliment de nous le faire sentir. Malgré tout, certains moments glissaient dans le glauque, à l’image de ce premier soir dans la boite de nuit. Les mâles se relâchaient, ils se permettaient d’être de plus en plus directs, et de laisser de plus en plus libre-court à leurs envies, et parfois à leur bestialité. C’était comme une menace, que je sentais de plus en plus lourdement, et qui pouvait tout faire basculer à tout moment. Ainsi, un soir, un des frères Gritchine proposa un concours de strip-tease. Carl m’incita à y participer et je me retrouvai en ligne avec les autres volontaires. Les hommes commencèrent à annoncer des sommes et, bien vite, cela fit un joli chiffre, en guise de prix que remporterait la gagnante. Je n’avais pas beaucoup d’espoir de ce côté-là, néanmoins. Il y avait parmi nous de vraies professionnelles et, moi, je n’avais jamais fait ça de ma vie. Mais c’était amusant, au début. Seulement, les hommes commencèrent à faire des commentaires de plus en plus crus, jouant à haute voix les maquignons, discutant nos culs et nos nichons, critiquant le moindre bourrelet. Plus les choses avançaient, plus ils devenaient vulgaires. Les unes après les autres, les filles passaient à leur moulinette à humiliation. Je n’avais plus trop envie d’y avoir droit et, lorsque vint mon tour, j’essayais de m’esquiver, mais les voix masculines se mirent à scander mon nom et je me retrouvai bien vite poussée sur scène. Au milieu des lumières, je commençai à me déshabiller, essayant de m’imaginer dans la chambre d’un homme, seule avec lui, amoureuse et voulant lui plaire. Mais cela ne fonctionna pas du tout. J’étais bien trop tendue et ça me rendait assez lamentable. Quand un gobelet vola dans ma direction, je ramassai vite mes affaires pour courir nue vers les coulisses, des larmes nerveuses coulant sur mes joues. Quand je m’en plaignis à Carl, il répondit que je manquais d’humour, et voilà tout.

Ces moments-là arrivaient de plus en plus souvent. Il y eut ce jour où une fille fut lancée à la mer par des fêtards en peu excités. C’était pour rire, bien sûr, et un canot alla immédiatement la repêcher, ramenant une pauvre chose piteuse et toute tremblante… Il y eut la soirée déguisée mille et une nuit, où toutes les femmes étaient en houris de harem, avec une tombola pour désigner le sultan qu’elles devaient toutes servir, qu’elles le veuillent ou non. Il y eut cet après-midi où un type alcoolisé, suite à un pari, s’attaqua au vestiaire des femmes de la salle de fitness, pour essayer d’en embarquer une devant les autres. Elles parvinrent à le chasser, et les mecs au spectacle riaient de leurs piaillements. Il y avait aussi des évènements plus anodins, mais tellement révélateurs. Ainsi, un matin, alors que j’étais en jupe de sport sur le pont, un type me claqua une main au cul, comme ça, comme si c’était la chose la plus naturelle au monde. Et, quand je protestai, il m’insulta, me traita de pute et d’allumeuse. J’avais vraiment l’impression de me prendre mon « hé, mamoiselle », abordée dans la rue par un voyou de banlieue ! Lorsque je le croisai à nouveau, quelques heures plus tard, alors que j’étais au bras de Carl, il n’eut même pas l’air de me reconnaître. Tout devenait ainsi de plus en plus farfelu, de plus en plus surréaliste, et aussi de plus en plus dangereux.

Désormais, je quittai Carl le moins souvent possible, mais lui aussi semblait être contaminé par l’ambiance. Il n’avait plus vraiment d’attentions à mon égard et, dans nos jeux, il n’y avait plus beaucoup de tendresse. Bien souvent, il me baisait juste comme on enfile un sac. Il s’adressait la plupart du temps à moi avec le ton rude d’un propriétaire et, plusieurs fois, quand je lui parlais, je m’étais rendu compte que je parlais littéralement dans le vide ! Ce n’était pas seulement qu’il n’écoutait pas : il me plantait en plein milieu de ma phrase, engageant une autre conversation comme si je n’avais pas existé. En fait, il me traitait de plus en plus comme une pétasse à disposition. Et moi, pour ma honte, je le laissais faire. J’en avais trop supporté pour abandonner maintenant, c’est vrai, alors j’acceptai d’en supporter plus encore. Il suffisait de tenir, après tout, pour avoir ma promotion à notre retour. Ainsi, j’étais devenue une vraie putain ! Faussement soumise jusqu’au trognon, avec plus grand-chose d’estime de moi-même, et presque dépourvue de dignité. Et le pire, c’était que mon corps jeune avait toujours des plaisirs, même ainsi. Mes fantasmes venaient mettre du piment à cette mascarade et, au fond de mes excitations, je découvrais parfois que ça ne me déplaisait pas toujours complètement, d’être une simple femme-objet.

C’est un soir que tout bascula définitivement. Carl jouait aux cartes avec les frères Gritchine et quelques autres. En bonne cocotte, j’étais assise derrière mon homme, et j’allai lui chercher un verre quand il claquait des doigts. C’était une image à peine exagérée, tant Carl n’était plus qu’un mufle, et moi sa chose à disposition.

Carl gagna beaucoup d’argent, puis il en perdit encore plus, il regagna… Je voyais qu’il s’était pris au jeu et je m’approchais pour lui glisser à l’oreille de rester prudent.

– Fous moi la paix, connasse !

Interloquée, je retournai m’asseoir et, pour essayer d’effacer la brûlure de honte en faisant comme si de rien n’était, je repris par réflexe mon papotage avec les autres filles, à voix basse pour ne pas déranger les hommes. Je n’étais plus qu’une victime pitoyable et hypocrite, et je me sentais complètement minable. La partie continua, les joueurs abandonnèrent les uns après les autres. Les filles les suivaient. Carl était de nouveau en mauvaise posture. De ce que je comprenais, il avait déjà perdu sa maison et il risquait de perdre son entreprise. L’aîné des Gritchine étaient son dernier adversaire. Ses deux frères étaient restés avec lui. Nous n’étions plus que cinq dans la pièce.

– C’est triste à dire, Carl, mais tu n’as plus rien à miser.

– Prête-moi de quoi jouer !

– Voyons, Charlie…

– Prête-moi et je te donne celle-là !

Mon cerveau se figea, comme sous l’effet d’une décharge électrique. « Celle-là », pour moi, ça n’évoquait rien… jusqu’à ce que je réalise que c’était de moi qu’il s’agissait ! L’aîné des Gritchine avança une pile de billets vers Carl. Il y avait là au moins… pfiou ! Je restai figée, les mains sur mes genoux, la bouche ouverte de stupeur. Carl abattit ses cartes, et la décomposition du visage des Gritchine relança les battements de mon cœur. Il avait gagné ! Il se leva, laissant les grosses coupures sur la table. Normal, la confiance est de mise entre gentlemen. Et il s’en alla sans me regarder, un peu titubant d’avoir trop bu. Je m’étais levée pour le suivre mais le troisième Gritchine posa la main sur mon épaule.

– Où tu comptes aller, salope ? Pour toi, ça ne change rien, il t’a vendue.

Carl se retourna une fois arrivé à la porte et il fit un geste dans ma direction comme pour dire « laisse tomber ». Il passa la porte. Et il ferma la porte. Et j’étais seule avec les trois Gritchine ! Ils avaient trop bu, eux aussi. Je crois que ça les rendait juste plus fort que d’habitude, et ils voulaient passer leurs nerfs. Je reculai, une vraie peur sur mon visage. Le deuxième frère m’attrapa et me gifla. L’aîné me ramassa par terre, tirant me cheveux pour me jeter sur la table. Le cadet arracha ma culotte, me donna une autre gifle parce que je tentais de me relever, serra ses mains autour de mon cou et s’enfila dans ma chatte, alors que je tirai la langue pour essayer de respirer. Il desserra au bout d’une minute, alors que j’allai tourner de l’œil, et il broya mes seins entre ses mains juste pour continuer à me faire mal. Il tirait dessus et ses frères riaient de la drôle de forme que ça leur donnait, les dressant en l’air comme deux baudruches gonflées. Il éjacula au fond de mon vagin, me frappa à nouveau d’une grande gifle puis laissa la place. Le suivant était l’aîné. Sa bite était un tuyau court, mais très large, et il prit le temps de bien me faire mal en s’enfonçant. Il tirait sur mes cheveux en soufflant comme un bœuf à la saillie. J’essayai de toute mes forces d’arracher la bague de mon doigt mais les deux autres prirent mes poignets et tirèrent sur mes bras de toutes leurs forces pour me faire tenir tranquille. C’était comme le jeu de la corde, mais c’était moi la corde ! Puis ce fut le tour du deuxième des frères Gritchine. J’étais déjà à moitié évanouie, je n’étais plus qu’un pantin qu’il secoua longuement, donnant dedans des coups de pénis brutaux et rapides. Il cracha son sperme au fond de mon ventre à son tour, et ils me laissèrent là, presque assommée.

Sans savoir comment, je parvins à retourner dans ma cabine. Je me roulai en boule sur le lit et fermai les yeux. Le visage des trois hommes restait au-dessus de moi, avec leurs sourires et leurs ricanements de brutes. Ma peau tremblait et mon ventre se serrait. En rouvrant les yeux, je n’avais pas l’impression d’avoir dormi. Il faisait jour, pourtant. Quelqu’un frappait à la porte de ma cabine. Le verrou était tiré mais, finalement, on fit tourner un passe dans la serrure et un homme entra. C’était le médecin du bord, je crois. Il m’examina sommairement, me donna un contraceptif du lendemain et colla sur mon visage quelques pansements. Juste après, on me fit déménager dans une cabine plus spacieuse, mais plus isolée. On plaça un marin devant ma porte. Je demandai à voir Carl mais on m’annonça qu’il avait quitté le bord. Un hélicoptère était venu le chercher. J’allai dans la petite salle de bain attenante à la chambre. Ma peau était couverte de bleus et, dans la glace, j’avais la tête d’un boxeur au lendemain d’un match qui aurait mal tourné. Les joues gonflées, les yeux enflés et noirs, les lèvres fendues… « Quelques jours et il n’y paraitra plus » avait dit le docteur. C’était difficile à croire. Je me fis couler un bain brûlant, m’allongeai lentement dans la baignoire et je fermai les yeux. Le visage des trois hommes restait au-dessus de moi, avec leurs sourires et leurs ricanements de brute.

Ils me gardèrent ainsi jusqu’à l’escale suivante. Ils ne voulaient pas que j’aille raconter mon histoire partout et je n’étais donc pas autorisée à aller et venir mais, pour le reste, on me laissait tranquille. Mes blessures s’estompaient. Avant de me laisser descendre à terre, trois jours plus tard, on me fit signer des papiers que je ne pris même pas la peine de lire. C’était inutile, je savais ce que ça disait. Consentement et confidentialité. Je reçu en échange un joli chèque, parce que c’est comme ça que ces gens-là règlent les choses. C’était presque la même somme que la strip-teaseuse du concours. Le prix d’une fille, j’imagine. Après ça, c’était fini pour moi, ils feraient ceux qui ne m’avaient jamais connue. Ils me firent monter dans un taxi qui m’amena à l’aéroport. Ils n’avaient pas poussé la galanterie jusqu’à me payer le billet d’avion.

Je regardai mon reflet dans la vitrine d’un duty-free. J’avais une jolie robe estivale, en imprimé à fleur, tombant en corolle jusqu’à mes genoux, un élégant foulard assortis noué dans mes cheveux et des lunettes de soleil. J’étais belle, décidément, même avec ma figure de déterrée. Et même dans cet état, j’avais toujours une forme de plaisir insidieux à la féminité. C’était une sorte de densité permanente en moi, qui distillait une satisfaction dans tout mon corps. Comme si cette chair de femme me donnait plus de consistance. Je regardai les hommes autour de moi et je savais qu’il ne me faudrait pas longtemps avant de retrouver le goût de leurs étreintes.

Mais cette fois, c’était assez, j’en avais fini avec ce petit jeu ! J’allai dans les toilettes pour homme, ignorant le regard interloqué d’un type en train d’uriner, je m’enfermai dans un W-C, arrachai la bague de mon doigt et la jetai dans la cuvette. Je tirai la chasse et, de mes yeux d’homme, je suivis son parcours en tourbillon, jusqu’à la voir disparaître définitivement.

Je montai dans le premier avion pour rentrer chez moi. J’avais déjà compris qu’il y avait un problème, mais c’était trop tard et je ne voulais pas y réfléchir pour l’instant. Une fois arrivé, je retournai directement à mon appartement et je m’effondrai sur mon lit. Il me suffisait de profiter du décalage horaire pour dormir, et oublier, avec l’espoir naïf que les soucis auraient disparu à mon réveil. Au réveil, ils n’avaient pas disparu. Je me posai alors devant la grande glace, totalement nu. Je ne voulais pas toucher, le reflet impitoyable me suffisait. Mon ventre lisse et doux semblait narguer ma peau d’homme plus rêche et parcourue de poils, tout autour. Ma fente de femme s’obstinait à rester devant mes yeux. Une partie de moi n’avait pas suivie, lors de mon ultime métamorphose. J’étais désormais un monstre au corps mêlé, mi-homme, mi-femme, ni homme, ni femme…

Je ne sortais plus. J’avais tiré les rideaux. J’épuisais les réserves de mon frigo. Il ne restait plus grand-chose. Tous les jours, je passais devant mon miroir. Et je constatais que la tâche de féminité s’agrandissait. Mes cuisses et presque tout mon buste étaient maintenant contaminés, et je sentais à nouveau des seins devant moi. Ils étaient encore modestes, mais je savais que ça n’allait pas s’arrêter là. Cela prit quinze jours entiers avant que je redevienne entièrement une femme. Les derniers jours, je ne mangeais plus, je n’avais plus rien. Qu’importe, c’est bon pour la ligne, il parait. Ma garde-robe avait à nouveau muté elle aussi, les objets dans mon appartement, mes papiers d’identité. Tout était revenu à la version féminine de ma vie. J’avais une existence normale devant moi. Une existence, mais pas la bonne…

Il était plus que temps de revenir au travail. Je ne savais pas très bien comment on allait me recevoir, ni comment Carl allait réagir. Je ne l’avais plus revu, depuis cette fameuse nuit. Franchement, je lui en voulais beaucoup, mais la perte semble-t-il définitive de mon corps d’homme avait tellement tout remis en cause, dans ma vie, que je voulais m’accrocher à n’importe quoi de stable et de connu. Je voulais mon emploi, et tant pis si ça voulait dire effacer l’ardoise. À l’accueil, ce n’était pas Sonia, mais une de ses collègues. Alors que je prenais des nouvelles, elle m’apprit que Sonia avait été renvoyée. À demi-mots, elle me fit comprendre que c’était suite à une histoire malheureuse avec un des directeurs. Les hommes ne sont décidément pas très élégants, pour se débarrasser des anciennes maitresses qui leur causent du souci. La fille évitait de me regarder en face et laissait volontairement trainer la conversation. Je commençai à comprendre. Elle finit par lâcher que je ne travaillais plus ici. J’avais été licenciée, moi aussi. Logique.

Quelques semaines plus tard, assise derrière la vitre d’un café, j’attendais que Carl sorte du travail. Ce n’était pas vraiment ce qu’on appelle un rendez-vous. Je voulais parler avec lui mais il refusait de prendre mes appels, alors je comptais lui tomber dessus et engager la conversation de force. Je le vis enfin passer la porte de l’entreprise, une pouffiasse gloussante au bras. Je ne me levai pas et restai là pour le regarder. Je ressortis le petit stylet de plastique de mon sac à main. Le test était sans bavure, les barres de couleur étaient bien nettes. Je posai à nouveau mes yeux sur Carl, en train de faire le beau devant la belle jeunesse au joli cul. À quoi bon lui dire, après tout… D’abord, je n’étais même pas certaine de qui était le loupiot. À la fin, cette croisière partait vraiment dans tous les sens et plusieurs hommes m’avaient jouis dedans sans précaution. Carl lui-même, à quelques reprises, et puis une poignée d’autres aussi. N’importe lequel d’entre eux pouvait être le père. Même les trois brutes Gritchine n’étaient pas à exclure. Les meilleures contraceptions ont leurs jours sans. Mais quelle importance ? Ce qui comptait, c’est que je réalisai enfin que je n’avais aucune envie de revenir dans ce monde-là. J’avais espéré cette entrevue sans trop savoir pourquoi, peut-être pour clarifier les choses une dernière fois avec mon ancien amant. Peut-être aussi parce que j’imaginais qu’il allait m’aider à décider. Mais en le voyant là, de loin, si pitoyable à jouer les vieux Don Juan égoïstes, en train de faire semblant d’ignorer que seul son argent leur décoinçait les cuisses… Étrangement, ça m’avait définitivement sevrée et je n’avais plus aucun regret. J’allai garder l’enfant. Le petit polichinelle d’un quelconque connard de millionnaire grandissait dans mon ventre et c’était bien ainsi. J’allai faire à cet enfant le beau cadeau de lui éviter toute chance de rencontrer un jour son connard de père !





Le ventre d’une femme



Le bruit dans le couloir me fit bondir. La clé dans la porte, les voix de femmes, les valises heurtant le mur… Lorna et sa mère – ou sa grande sœur, je n’avais jamais bien su – elles étaient là. Elles étaient de retour ! Si j’avais encore été un homme, je me serais jeté sur elles. En femme, surtout avec mon ventre qui commençait à s’arrondir, je préférai m’armer d’un long couteau. En me voyant, Lorna agita sa main vers moi, dans un petit salut gentil, ignorant l’arme que j’avais à la main.

– Alors, voisine, ces vacances ?

Elle me prenait carrément pour une conne, en plus… J’aurai pu la tuer, là, tout de suite ! Je m’approchai d’un pas vif pour lui mettre le couteau sous la gorge, histoire de bien commencer la petite séance d’explication qu’elle me devait. Elle claqua simplement des doigts et je me retrouvai les mains vides en arrivant sur elle.

– Il ne faut pas te mettre dans cet état, voyons. Viens plutôt m’aider à défaire mes valises, on parlera ensuite devant une bonne tasse de thé.

Trop en colère pour être surprise comme il aurait fallu par la disparition du couteau, je donnais un grand coup de pied dans sa valise, comme on shoot dans un ballon, ruinant au passage ma jolie paire de ballerine et me tordant à moitié le pied. Lorna fit la moue.

– Bon, comme tu voudras…

Elle ignora sa valise, tourna trois fois une des bagues à son doigt et je me retrouvai paralysée, incapable de bouger, incapable de parler, mes yeux seuls pouvant encore pivoter pour suivre la scène. Lorna et sa mère rangèrent toutes leurs affaires, sans même se presser, me contournant comme si j’étais un meuble posé au milieu du passage. Puis Lorna s’accroupit devant moi et passa lentement sa main sur mon pied, faisant disparaitre la douleur qui me lançait depuis mon coup intempestif. Par la même occasion, ma paire de ballerine redevint comme neuve. Lorna tourna enfin à nouveau sa maudite bague et, comme une statue qui se défige, je retrouvai toute ma liberté de mouvement…

– Tu vas nous écouter, maintenant ?

Cette fois, l’incongruité de ce que je venais de vivre avait fait son effet sur moi et cela m’avait rendue plus docile. La mère de Lorna nous fit asseoir dans le salon, l’une à côté de l’autre, puis elle apporta du thé. Elle nous servit une tasse de thé à chacune. Puis elle se servit une tasse de thé. Puis elle distribua le sucre pour le thé. J’avais envie de lui hurler de presser le mouvement, mais j’étais bien obligée d’être raisonnable. Remuant doucement son thé en faisant délicatement tinter la cuillère, elle me regarda enfin et je vis avec surprise de la bienveillance dans ses yeux.

– Et le père ?

– Qu’est-ce que ça peut vous faire ?

– Allons, tu ne crois quand même pas que le bébé que tu portes est comme les autres. Il a des pouvoirs. Tu vois : tu n’as plus la bague et tu restes tout de même une femme. Il n’y a pas trente-six explications, c’est l’enfant lui-même qui t’a bloqué dans ce corps ! Il n’aurait pas supporté un passage dans ta complexion d’homme, tu comprends, alors il a empêché le processus de métamorphose. C’est tout à fait normal.

Le mot « normal » était bien le dernier qui me venait à l’idée pour qualifier ce qui m’arrivait, mais mon interlocutrice semblait le trouver parfaitement approprié. Lorna balaya une mèche de mon front. Elle avait un air étrange. Son visage et sa voix était très sage, mais parfois son regard explosait littéralement, comme celui d’une enfant débordant de bouffées d’enthousiasme, une enfant qui essaie malgré tout de le cacher pour être autorisée à rester avec les grandes personnes.

– Tu ne peux pas imaginer l’effet que ça m’a fait, quand j’ai senti que tu étais enfin enceinte. À ce propos, si tu te poses la question, c’est une fille. Les sorcières ont toujours des filles, c’est normal.

– Vous avez tout manigancé, n’est-ce pas ? Vous… Vous vous êtes arrangé pour que ça m’arrive ! Vous m’avez collé ce bébé dans le ventre comme si j’étais une vulgaire pondeuse !

– Si seulement ! Non, les enfants, c’est un des rares domaine où une sorcière ne peut pas grand-chose.

Lorna pris soudain l’air triste et ses yeux fixèrent mon ventre.

– Je t’envie, tu sais ?

Je ne comprenais rien, mais alors, rien du tout. J’avais juste l’impression qu’elles jouaient avec moi. Voyant que mes poings se serraient de nouveau, la mère intervint.

– Les sorcières ont de grands pouvoirs, mais leur ventre est incapable de porter. Elles sont stériles. C’est un homme qui doit faire le travail pour elles. C’est normal, c’est comme ça, c’est toujours comme ça. Nous n’avons fait que te donner la bague, après que Lorna l’ait enchantée. Lorna est assez douée, pour enchanter les bagues, et d’une foule de manières différentes, tu as pu t’en rendre compte…

La mère de Lorna m’envoya un petit clin d’œil et suspendit sa phrase, comme pour laisser leur moment aux souvenirs. Cela s’était passé il y a une petite dizaine de mois, en fait, mais l’image me semblait sortir d’outre-tombe. Tant de choses s’étaient déroulées entre-temps ! Je me rappelais de son corps irrésistible, de son plaisir et de notre étreinte surréelle. Lorna toussota, nous faisant toutes deux revenir à l’instant présent. Sa mère reprit.

– Tu vois, pour le reste, nous ne pouvions pas intervenir, les règles sont très strictes à ce sujet. Il ne nous restait qu’à espérer. Tu es le huitième essai que nous tentons. Certains ont préféré rester des hommes, d’autres ne se sont pas fait féconder. Il y a ceux qui n’ont pas gardé l’enfant, et ceux qui se sont mis en couple avec le père. C’est un peu compliqué, il en faut peu pour rompre le lien de Lorna avec l’enfant, et alors celui-ci redevient un bébé comme les autres. Heureusement, toi, tu es tombé enceinte et tu es célibataire. Tu vois, c’est le bébé de Lorna que tu portes, tu attends une future sorcière. Lorna sera sa mère en sorcellerie et, toi, tu seras sa mère de corps, comme moi-même j’ai été la mère de Lorna.

Celle qui avait été un homme comme moi me fit un sourire et, pour la première fois, c’était un sourire chaleureux.

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